Ça faisait un petit bout de temps que Squizzz n’était pas revenu avec sa chronique de l’oeuvre de Danny Boyle. L’erreur est réparée, voici pour vous l’analyse de 6ème film du réalisateur britannique (qui est l’un de mes préféré). Bonne lecture.

Sunshine signe la dernière collaboration à ce jour entre Danny Boyle et Alex Garland, et la première incursion du réalisateur dans l’univers de la science fiction. En ne lésinant pas sur des effets spéciaux absolument époustouflants, Boyle parvient cependant à faire de Sunshine un vrai film d’auteur à la beauté plastique indéniable. De la même manière Garland signe un scénario qui reprend tous les codes du genre mais avec un fond bien plus complexe qu’il n’y paraît. Malgré toutes ses qualités et un très bon accueil critique, Sunshine ne déplacera malheureusement pas les foules, mais reste une pépite pour les mordus de SF.

Une expérience sensorielle

Comme jamais auparavant, Boyle a voulu créer dans Sunshine une atmosphère particulière, qui va mettre en éveil tous les sens du spectateur. Dès les premières images, un climat étrange s’installe, une sorte de calme bien trop calme, où la voix off posée de Cillian Murphy se mêle à un mélange de bruits sourds que viennent perturber à deux reprises une musique aux accents brûlants et métalliques, lorsque le soleil vient inonder l’écran. Tout le long du film le son prend une place toute particulière, il devient presque un personnage à part entière, comme s’il s’agissait d’une entité invisible. Boyle exacerbe de nombreux bruits, qui habituellement seraient à peine perceptibles, créant ainsi une ambiance très intrigante, pouvant être tantôt reposante, tantôt angoissante. Certains reprocheront au réalisateur de ne pas respecter, tel Kubrick, le silence de l’espace, mais rappelons que rallumer le soleil avec une bombe nucléaire n’est pas très plausible non plus. De plus ces bruits sourds de mouvements dans l’espace renforcent justement l’idée de silence et l’isolement dans lequel se trouve l’équipage.

Visuellement l’expérience est également enivrante. Boyle joue énormément sur les oppositions de couleurs qui sont toujours très tranchées. On peut passer rapidement du jaune éblouissant et brûlant du soleil, à un bleu-gris très froid et triste. On notera également quelques scènes où un blanc immaculé domine, comme dans la séquence du suicide de Trey, qui donne un côté très surréaliste et apaisant à la scène, renforcé par les vols récurrents d’oiseaux, comme si quelque chose de supérieur était intervenu pour éviter à Mace de commettre un meurtre. Boyle n’hésite pas non plus à jouer sur la distorsion d’images, notamment dans la séquence finale dans laquelle il va également multiplier les cadrages renversés et les brefs arrêts sur image, conférant à la scène une folie et un chaos total, dans lequel les personnages n’agissent presque plus qu’à l’instinct. Dans cette séquence comme dans tout le film, le travail de montage est primordial, lorsque l’on voit la multitude de plans différents qui s’enchaînent. Le spectateur est très souvent entraîné dans un tourbillon entêtant de plans, sauf lorsque le montage se veut plus posé pour le plonger dans un calme tout aussi enivrant.

Cette importance des sens sur le ressenti de l’Homme est directement représentée dans le film, lors de la séance de visiothérapie, où Mace se retrouve embarqué dans un tourbillon d’images et de sons qui lui rappellent son passé et finissent par l’apaiser.

1ère séquence clé : la sortie dans l’espace

La première grosse séquence du film sonne presque comme une séquence finale tant par sa structure que par la tension qui s’en dégage. Elle débute par les adieux du héros à sa « petite amie » (bien que la relation entre Cassie et Capa soit platonique, elle est indéniable), qui referme symboliquement sa combinaison, comme un signe d’adieu, puis s’ensuit un dernier regard via la lucarne du masque. La sortie se fait ensuite dans un calme des plus posés, le rythme étant alors très lent, Boyle n’hésitant pas à jouer sur les ralentis pour créer une sorte de flottement. Les plans très larges sur le vaisseau s’opposent aux très gros plans de l’intérieur des masques des astronautes, renforçant l’angoisse liée à l’immensité de l’espace et le sentiment de claustrophobie des combinaisons. La tension naît essentiellement des mouvements réguliers des différentes parties du vaisseau, et de bruits très sourds, puis de l’apparition de l’élément perturbateur, à savoir le soleil qui commence à apparaître.

Le basculement de la scène est assez inattendu car il survient en parallèle de la résolution du problème de départ. Le spectateur est conscient que l’explosion dans le jardin est un problème mais est dérouté car celui-ci n’est pris immédiatement en considération ni par les personnages, ni par la mise en scène qui reste encore posée pendant une bonne minute. Le rythme va ensuite s’accélérer notamment par des séquences où le montage fait la part belle à la multiplication très rapide des plans, avant d’à nouveau redevenir plus posé lors de la prise de conscience de la fatalité. La suite de la scène va alterner les variations de rythme. Cette partie charnière de la séquence est assez forte d’un point de vue symbolique puisqu’elle met en avant la destruction de la Terre (représentée par le jardin) par le Soleil (représentée par le feu), et met clairement en péril la réussite de la mission.

La fin de la séquence va moins jouer sur une accélération de rythme par le montage, que par l’intensité dramatique apportée par la musique (la désormais célèbre partition de John Murphy). La tension va naître de l’opposition que fait Boyle entre des « travellings » ultra rapides sur le bouclier du vaisseau, simulant l’arrivée du soleil, et le calme olympien du commandant qui se sacrifie pour sa mission et finit par se livrer au soleil. A noter au passage un plan sur le visage du commandant plus qu’évocateur du « 2001 » de Kubrick.

2e séquence clé : la découverte d’Icarius I

Cette séquence met clairement en parallèle le sort des équipages d’Icarus I et II, et possède donc un aspect prémonitoire. A l’arrivée dans Icarus I, ni les astronautes, ni les spectateurs, ne savent ce qu’ils vont trouver. Cependant, les spectateurs en savent un peu plus, car dès l’entrée dans le vaisseau, Boyle insère une première image subliminale d’un membre de l’équipage d’Icarus I, lors de la fête de départ. Cette image va avoir deux répercussions sur les spectateurs. La première va être de les aiguiller sur ce que l’équipage d’Icarus I est devenu, l’association de cette image au lieu abandonné lui donnant un côté spectral. La deuxième va être de leur faire faire le rapprochement avec l’équipage d’Icarus II, dont ils ont vu une photo équivalente au début du film. Mais la séquence se veut bien plus optimiste qu’on veut bien le croire, car au milieu de cette atmosphère de fin du monde, la nature, la vie, la Terre (via le jardin) a réussi à reprendre le dessus. L’avenir de l’équipage d’Icarus II se dessine donc ici : s’ils veulent sauver leur planète, le sacrifice de chacun va être obligatoire. Il n’est alors pas surprenant que la séquence s’achève par la mort de deux nouveaux astronautes.

Un huis clos pour sauver l’humanité

L’un des thèmes majeurs de Sunshine est l’opposition constante entre l’être humain en tant qu’individu et l’humanité toute entière. Est-on prêt à donner sa vie pour sauver celle des autres ? L’importance de l’unicité dans la démarche de tout l’équipage, et de l’abnégation de chacun face à la mission apparaît dès le début du film, le montage mettant en permanence en parallèle l’intérieur et l’extérieur du vaisseau, montrant que l’équipage doit faire corps avec lui, et que c’est la mission qui compte avant tout plus que l’individu. La multiplication des plans extérieurs impose aussi la solitude des astronautes au milieu de l’immensité de l’espace, et va rapidement placer l’action du film en huis clos. Pour renforcer cette impression de solitude et l’abnégation totale dont vont devoir faire preuve les astronautes, Boyle et Garland choisissent de ne jamais montrer la Terre (sauf à la toute fin du film, lorsque tout l’équipage s’est sacrifié pour sa planète).

Le huis clos prend encore plus d’importance dans la dernière partie du film aux allures de film d’horreur, qui n’est pas sans rappeler Alien. Le parallélisme avec le film de Ridley Scott va jusqu’à la présence d’un étranger à bord, dont l’identité est cependant très rapidement révélée par son apparition en image subliminale. La dimension de la séquence est cependant plus tragique car de l’avenir de l’équipage dépend l’avenir de l’humanité.

Les auteurs vont encore plus pousser le huis clos en réduisant de plus en plus l’espace vital du héros, en le plaçant d’abord dans un sas, puis dans une combinaison. La sensation de claustrophobie associée à un ralentissement des mouvements impose une tension implacable au film bien plus efficace qu’une action à un rythme trop soutenu.

La toute fin du film va à l’inverse se placer dans l’immensité d’un décor tout droit sorti de Cube, un film qui reprend le même thème de l’individualité face au sacrifice pour l’autre. Le fait de placer les deux héros, puis un seul, dans cette immensité accentue bien évidemment leur solitude face à leur tâche, et leur abnégation. Délibérément ils sont placés en héros sauveurs de l’humanité.

Le Dieu Soleil

Le Soleil revêt une place particulière et très ambiguë dans le film. Il est à la fois l’astre indispensable à la survie de l’humanité, mais en même temps se place à chaque instant comme un frein à la mission qui a pour but de sauver la Terre. L’effet exercé sur les différents membres de l’équipage est le même. Le soleil est ce qui risque de les tuer à chaque instant, mais ils ont pour lui une attirance irrépressible. Trois des personnages meurent d’ailleurs dans une plénitude totale face à l’astre solaire. Leur sacrifice devient presque finalement un accomplissement, celui de toucher l’origine de l’Homme.

Danny Boyle a voulu avec Sunshine interroger sur cette origine de l’Humanité, et sur les différentes façons de l’aborder, soit d’une manière très scientifique, soit à l’inverse par un aspect plus spirituel et religieux. Que l’on prenne l’une ou l’autre des approches, la fin prend dans tous les cas une dimension très particulière, qui n’est pas sans rappeler un des thèmes déjà abordé par Garland et Boyle dans « La Plage ». Dans le premier cas, l’Homme arrive au stade ultime de son apprivoisement de la nature. Dans le second, l’Homme en vient à se prendre pour Dieu, voir à le surpasser en le faisant renaître…

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