Squizzz continue avec son étude de Danny Boyle en nous livrant une chronique de « Millions » film qui est certainement le moins connu de toute la carrière du réalisateur.
« Millions » est comme un virage à 180° pour le réalisateur de « Trainspotting », « Petits meurtres entre amis » ou encore « 28 jours plus tard », puisqu’il s’attaque cette fois-ci à un film pour enfants. Ceci explique peut-être le faible succès remporté par le sixième film de Danny Boyle. Pourtant, pour peu qu’on ait gardé une âme d’enfant, il n’est pas incompatible d’aimer les premières oeuvres du réalisateur et ce magnifique conte moderne, plein de couleurs et de poésie et qui, malgré tout, porte incontestablement l’empreinte de son auteur.
Un conte moderne
« Millions » respecte tous les codes du conte. Tout d’abord, il se place dans une réalité déformée, y compris par son pitch qui situe l’action dans une Angleterre en plein passage à l’euro, fait qui n’a jamais eu lieu. Ensuite le monde qui est dépeint est en permanence à mi-chemin entre la réalité et une vision enfantine. La photographie est très colorée, à l’image de celle d’un film d’animation ou tel un dessin d’enfant. Le lotissement où vit la famille fait penser à un monde en Playmobil avec ses poubelles violettes, ou encore à une maquette de train électrique, notamment lors d’un des derniers plans du film. La maison en particulier est tour à tour assimilée à une simple demeure dessinée sur le sol, puis à un jeu de construction, ou encore à une maison de poupée (voir le plan séquence en contre plongée suivant Damian à travers différentes pièces en faisant fi des cloisons et du plafond). La séquence de nuit qui suit Damian jusqu’à son ancienne maison rappelle également beaucoup les illustrations de livres pour enfants, et possède un côté très théâtral, avec cette poursuite lumineuse qui dirige l’enfant, telle l’étoile du berger. L’âne en carton pâte donne un supplément de magie à la scène.
Les fées des contes sont remplacées par des saints, qui ne sont pas tant là pour un catholicisme exacerbé, mais pour leur côté surréaliste et surtout comme ambassadeurs de la bonté et la croyance en un monde meilleur auquel aspire Damian. Ils apparaissent comme les guides du jeunes héros. Par opposition, le grand méchant est campé par le voleur qui veut récupérer son dû, mais dont on ne sait pas non plus s’il est bien réel ou juste une vision de l’esprit de Damian, telle une peur occasionnée par l’origine illégale de son butin. Il y a donc comme dans tout conte une opposition du bien et du mal, mais le film n’est pas aussi manichéen que cela, et ce veut plus réaliste dans la morale qu’il défend comme on le verra plus loin.
Cependant « Millions » défend des valeurs traditionnellement enseignées aux enfants, à commencer par celle de l’amour et de l’importance accordée à la famille. L’enjeu émotionnel principal du film réside dans le décès de la mère des deux enfants et dans le chemin qu’ils vont devoir parcourir pour l’accepter. Le début du film a beau apparaître comme un nouveau départ (avec le déménagement) et les enfants utiliser la mort de la mère comme subterfuge pour obtenir ce qu’ils veulent, on comprend rapidement que le décès de celle-ci est récent et qu’aucun des membres de la famille n’a fait son deuil. Le père dort encore avec des coussins pour remplir l’espace vide dans le lit. Le frère de Damian ne supporte pas la venue d’une nouvelle femme dans la vie de son père, et cache son mal-être derrière une force de façade. Damian est peut-être celui qui accepte le mieux cette épreuve, en hissant sa mère au-delà de simple être humain, telle un ange qui ne pourra jamais vraiment mourir. La séquence où Damian revient sur le lieu de travail de sa mère montre parfaitement ce sentiment, avec sa saturation en lumière blanche, qui lui donne un aspect divin. La scène montre également son acceptation de passage de flambeau vers « sa nouvelle maman ». La présence du voleur fait écho à ses peurs, ses doutes, qu’il finit par laisser derrière lui pour rejoindre Dorothy.
« Millions » est également un conte sur les derniers instants de candeur et de rêves d’un enfant qui va bientôt se retrouver confronté à la réalité du monde. Une correspondance entre les deux scènes de la découverte du sac, montre bien cette idée. La première séquence, vécue comme un miracle d’origine céleste par Damian, se solde par une ouverture magique du sac qui dévoile le butin. La seconde, qui intervient lors de la révélation de l’origine exacte de l’argent à Damian, reprend exactement les mêmes plans. Cependant elle révèle l’origine réelle du butin en faisant apparaitre le train, et surtout se termine sur un sac déjà ouvert où les billets n’ont plus du tout la même valeur. Elle se solde via un fondu enchaîné rouge, témoin de l’horreur qui traverse alors l’esprit de Damian, qui voit la vérité du monde lui éclater à la figure. Ainsi le message du film se situe peut-être là. Sans mentir aux enfants, puisqu’à de nombreuses reprises les choses en lesquelles Damian croit sont remises en cause (même les saints le mettent plusieurs fois en garde), « Millions » cherche à préserver cette part de rêve, de candeur, qui finit par nous manquer lorsque l’on est adulte.
Bag of Money Quadrilogy
Sept ans après « Une vie moins ordinaire », Boyle retrouve un de ses thèmes de prédilection, l’argent, de sorte qu’on pourrait presque inclure « Millions » dans une « Bag of Money Quadrilogy ». Le film est un peu un « Petits meurtres entre amis » pour enfants. Outre l’idée de départ (les héros se retrouvent avec un sac d’argent sur les bras), deux séquences ne sont pas sans rappeler le premier long du réalisateur. Celle du grenier tout d’abord, où Damian va essayer de cacher le sac, mais surtout celle du débat en famille autour du sac, faite de plans successifs sur les différents personnages avec les billets en premier plan, copier/coller de celle de « Petits meurtres entre amis ».
Si le film n’est pas aussi corrosif que son grand-frère (rappelons que c’est un film pour enfants), la critique qu’il fait de la place de l’argent dans la société n’est pas dénuée d’intérêt, et plutôt bien amenée pour être à la portée des plus jeunes. Chacun des deux héros voit dans cet argent un pleine puissance. Damian tout d’abord le considère comme la réponse à la misère et la pauvreté. Anthony en a lui une vision plus adulte, dans tout ce qu’elle a de plus lucide mais aussi de plus égoïste et de plus désinvolte (il veut dépenser son argent en placements mais aussi en futilités). Damian va en permanence se confronter à cette vision plus adulte de l’argent (y compris de la part de son père), et ainsi comprendre que l’argent ne permet pas de faire des miracles. La morale est certes un peu simpliste et utopiste mais pas si éloignée que ça de celle de « Petits meurtres entre amis », qui montrait que l’argent finissait par faire perdre leur humanité aux Hommes. La fin est cependant ici plus positive, voyant l’amour et la générosité gagner. Mais ne vaut-il pas mieux quand même tenter de faire passer un tel message aux enfants ?
La touche Danny Boyle
Marre des films pour gamins avec une réalisation plan-plan ? Alors réjouissez-vous car ce n’est pas parce qu’il réalise un film pour enfants que Danny Boyle abandonne sa patte si caractéristique. Comme à son habitude, le metteur en scène conserve un style esthétiquement très marqué. On l’a déjà vu, il donne à son film un côté très enfantin. Il utilise pour cela énormément la lumière et les couleurs. Le jaune est notamment très présent, surtout dans les séquences de nuits, pour donner un climat chaud et protecteur au milieu de la froideur nocturne. C’est également un couleur qu’il associait déjà à l’enfance et au souvenir dans « 28 jours plus tard ». Sa caméra est, comme très souvent chez lui, très en mouvement et multiplie les plans inventifs, faits de plongée, contre-plongée et autre travelling. Cette technicité dans les plans est le plus souvent là pour appuyer le scénario et les sentiments des personnages. Par exemple après son intervention à l’école à propos des saints (alors que les autres enfants parlent de footballers), un plan au dessus de l’épaule isole complètement l’enfant dans un seul tiers de l’écran. Un plan de transition fait de lettres sur un tableau montre que les enfants lui souhaitent la bienvenue dans l’école (ce type d’interlude inventif est très fréquent dans le film, lui apportant une vraie légèreté). Le plan suivant montre Anthony expliquant à son frère qu’il se met à l’écart des autres par sa façon d’agir. Le plan se solde par un travelling arrière isolant à nouveau Damian seul contre un mur au milieu de la cour de récré. Dans le même genre, la découverte de la maison cambriolée est filmée, que ce soit pour le plan d’ensemble, ou pour les plans rapprochés sur les visages, à travers un miroir brisé, ce qui retranscrit clairement l’impact de l’événement sur la famille.
Et puis il y a la séquence du braquage du train. Du grand Danny Boyle, qui ravira sans aucun doute les adeptes de son cinéma. Le réalisateur traduit alors cinématographiquement ce que le personnage du film raconte avec ses petites voitures, et il s’éclate tout autant. L’avalanche de plans larges et serrés aux couleurs saturées, parfaitement rythmée par un montage dynamique, colle parfaitement avec une voix off qui fait corps avec le « Hysteria » de Muse. Puis Boyle crée une rupture de rythme pour initier une deuxième partie plus posée, accompagnée du tragique « Black Out » de Muse, qui donne toute sa puissance dramatique à la révélation d’une supercherie qui va bouleverser Damian. Cette séquence est un peu la vitrine de ce film qui, bien qu’à destination d’un jeune public, n’en oublie pas une mise en scène travaillée, qui emportera ainsi également l’adhésion des grands enfants.
Squizzz