Encore un nouvelle article de Squizzz sur la filmographie de Danny Boyle. Aujourd’hui il s’attaque à sa première œuvre américaine qui n’a d’ailleurs pas fait l’unanimité. Je vous laisse découvrir sa chronique et vous souhaite une très bonne lecture.

La première (et seule vraie) incursion de Boyle dans l’univers des grandes productions ne se sera pas faite sous les meilleurs hospices. Plus attendu comme le retour de DiCaprio au cinéma après le phénomène « Titanic » et précédé d’un énorme tapage médiatique, « La Plage » va très rapidement subir un violent revers de médaille. Critiques peu élogieuses, polémique écologique, fans du réalisateur qui le trouve trop sage, adolescentes qui salivent devant Léo mais ne trouvent pas le film assez conventionnel… Pourtant au regard du nombre de contraintes qui ont du lui être imposées, Boyle réussit un blockbuster intelligent qui sort des sentiers battus, et qui porte clairement son empreinte. Et puis il a surement permis à un certain nombre de cinéphiles de ma génération de découvrir un réalisateur hors norme, alors rien que pour ça…

Made in Hollywood

Si Boyle a réussi à poser sa marque de fabrique sur « La Plage », on ne peut pas renier qu’il a été freiné par la politique des grands studios américains. Le principal exemple est l’imposition de DiCaprio dans le rôle de Richard, au détriment d’Ewan McGregor, événement qui sera à l’origine d’un conflit qui oppose toujours l’acteur et le réalisateur. Il y aussi cette volonté de faire du personnage principal un américain, là où il était anglais dans le roman, même si ce changement fonctionne plutôt bien, au regard de l’idée de mondialisation et de l’ombre de la Guerre du Vietnam qui planent sur le film. D’ailleurs le film ne véhicule pas nécessairement une bonne image des Etats-Unis, notamment par le biais des touristes à qui Richard laisse une carte, dont le portrait n’est pas nuancé comme dans le livre de Garland. De même si dans sa réalisation Boyle se laisse parfois aller à des élans de grandes scènes hollywoodiennes (voir la séquence d’amour entre Richard et François, sur laquelle nous reviendront plus loin), il n’hésite pas à se moquer des grandes productions américaines lors de la scène où Richard drague la frenchie Françoise, sur fond de ciel étoilé, qui fait directement écho à la scène d’amour sus-citée.

Même sur le plan du scénario, Boyle et Hodge n’ont pas eu a trop aseptiser le propos de Garland, si ce n’est la concrétisation de l’amour entre Richard et François (dont le platonisme est pourtant plus intéressant dans le roman) ou encore un final bien plus soft (mais qui aurait surement tourné au grand guignol s’il avait été transposé à la lettre). Dans l’ensemble, le film est une très bonne adaptation du livre, qu’il simplifie habilement en limitant le nombre de personnages et d’intrigues, pour développer en moins de deux heures les multiples thèmes évoqués dans les presque cinq cents pages du roman.

Bangkok

Le premier plan du film montre DiCaprio a un arrêt de bus, qui pourrait être celui de n’importe quelle ville, puis un lent travelling latéral dévoile la statue d’une divinité thaïe. Ce premier plan montre toute la dualité de la ville, entre traditions et ouverture à la mondialisation et à un tourisme exacerbé. Cette opposition se poursuit dans la suite de la description de la ville, entre les déambulations sur Khao San Road, la rue touristique, et le passage par les bars interdits où l’on boit du sang de serpent. Boyle réussit en quelques minutes à plonger le spectateur au cœur de Bangkok et de la Thaïlande des touristes. En parallèle il développe le portrait de son personnage principal, Richard, étouffé par cette ville et ses touristes. La photographie est sombre, les plans sont le plus souvent nocturnes et éclairés par des néons à la lumière agressive. Le montage assez dynamique et la musique de Leftfield accentuent encore plus le sentiment d’oppression du personnage.

L’évocation de la plage va alors sonner comme l’échappatoire rêvée et inespérée. Elle apparaît d’ailleurs comme telle lors du récit de Daffy, comme si c’était Richard qui imaginait ces plans aériens bercés de nuages, tels une image du paradis. Et ce malgré les indices évidents du danger à venir que sont le personnage de Daffy et la séquence de son suicide, d’un glauque presque surréaliste. Là apparaît également l’un des principaux traits de caractère de Richard, qui a tendance à prendre la vie d’une manière irréelle, comme un jeu. Un jeu dans lequel il n’hésite pas à se lancer pour trouver le trésor caché au bout.

La quête

Lorsque le trio se lance dans la quête de l’île, la lumière devient beaucoup plus solaire, et la musique pleine d’espoir. Le fil conducteur des requins apparaît pour la première fois, sous la forme d’une blague, montrant l’état d’esprit des personnages, assez désinvoltes et sûr d’eux, se moquant du danger. Pourtant, il est bien présent, car le paradis se mérite. Les voyageurs devront donc en passer par différentes épreuves avant de l’atteindre.

La première sera celle du champ de cannabis où le piège semble se refermer sur eux, à l’image de ce travelling rapide entre les rangs de plantation, qui se termine par un gros plan sur les personnages, qui se retrouvent comme enfermés. La seconde sera la cascade, dont la découverte se fait par un plan en mini-hélico en suivant le fil de l’eau. Le plan en caméra à l’épaule en plongée du haut de la cascade et le plan grue qui la remonte en contre-plongée apportent un côté vertigineux à la scène.

Il existe des barrières naturelles à l’atteinte de la plage, mais ce paradis est également jalousement gardé par les membres de la communauté. En témoigne un ensemble de plans en contre-plongée à travers la végétation tel un œil qui observe l’arrivée des trois routards. La séquence de la cascade se termine d’ailleurs par un plan emblématique assez évocateur, montrant les trois routards qui viennent de sauter, avec en premier plan et de dos, Keaty, l’un des membres de la communauté, tel le gardien de l’entrée du paradis. Cette notion devient beaucoup plus claire, lorsque dans la dernière partie du film c’est à Richard qu’incombe la tâche de repousser les visiteurs.

Un paradis sensuel

La communauté de la plage est au départ représentée comme un éden terrestre. Un éden où tout semble simple, comme la simplicité de la beauté du lieu, dont quelques plans sur la musique envoutante de Moby suffisent à en capter toute la grâce. Un éden où la sensualité est reine. D’abord sous les traits d’une Virginie Ledoyen qui a su garder le pouvoir hypnotisant de la Françoise du roman. Mais aussi sous les traits des deux héros masculins qui n’échappent pas à la séquence d’affront torses-nus et en sueur. Le point culminant de cette sensualité reste la séquence d’amour entre Françoise et Richard. Certes elle possède un côté très hollywoodien, avec son jeu de phosphorescence et son fond musical qui n’est autre que le tube pop du moment (à savoir les All Saints en 2000). Mais cette nuit américaine, tournée sous un soleil de plomb, confère une atmosphère particulière à la scène, qui fait son petit effet.

Le début de la fin

Pourtant la plage n’est peut-être pas le paradis escompté. Deux séquence montrent les limites de l’éden, qui peuvent venir à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. La première est l’arrachage de dent en règle à défaut de dentiste (on notera au passage le plan sur Sal allongée dans la position d’une divinité, montrant la place qu’elle veut occuper dans la communauté). La seconde est l’attaque de Richard par le requin. Cependant dans les deux cas, ces situations sont vite reléguées au rang d’anecdotes. La première se termine par un verre et un joint. La seconde, si elle commence par un vrai suspense, se transforme vite en cliché assumé des « Dents de la mer » pour se terminer dans l’exagération, Richard se transformant en super-héros.

Mais la communauté va vite se rendre compte qu’ils ne peuvent pas éternellement jouer à Dieu avec la nature, et qu’elle va vite les rattraper. La troisième attaque du requin, cette fois fatale, transforme le paradis en enfer. Cette fois-ci la construction de la scène est inversée par rapport aux précédentes. Richard est en train de jouer à la console, et se fait rattraper par la réalité en même temps que retenti le « Game over ». Mais la plus grosse atrocité arrive par la suite, via l’éviction par la communauté de Christo, blessé et agonisant. Le « paradis » a donc un prix, celui de l’humanité.

It’s over Now

La préservation du paradis passe aussi par la régulation de l’arrivée des étrangers, tâche qui va incomber à un Richard, qui sombre petit à petit dans la folie à force de se laisser emporter par les contradictions de l’île. La dernière partie du film exacerbe les principaux traits du personnage, coupé de la réalité et ayant une volonté de domination. Nourri aux jeux vidéo et aux films sur la guerre du Vietnam, Richard plonge littéralement dans son fantasme ultime.

Ces deux thèmes apparaissent déjà à plusieurs reprises dans le film (importance de la Game boy, séquence du requin… pour le premier ; projection d’ « Apocalypse Now », scène de la barque… pour le second), mais deviennent omniprésent dans la dernière partie. Les déambulations de Richard dans la jungle sont filmées comme une mission militaire, les gardiens du champ de cannabis sont assimilés aux Vietcongs, sans oublier la multiplication des armes. Concernant l’univers des jeux vidéo, on ne peut que citer la séquence tournée comme telle. Mais on retrouve également cet univers, lors de la fabrication des pièges dans la forêt, ou dans le retour de Daffy, comme si Richard était le héros du jeu et que c’était Daffy qui tenait les mannette. L’assimilation des deux personnages se fait clairement au cours d’une séquence, où les deux visages se confondent à coup de champs/contre-champs, avant que Daffy ne porte littéralement Richard.

Le retour à la réalité va se faire pour Richard lors de la fusillade dans le champ de cannabis. La photographie se fait cette fois plus réaliste, avec une caméra à l’épaule. La giclée de sang sur le visage du héros signe son retour à la conscience, de même que la pause en gros plan sur son visage au milieu de la course effrénée qui suit la scène.

La destinée de la plage va elle se jouer en huis-clos dans la grande case, donnant une certaine tension à la scène, même si ce sentiment d’emprisonnement ne semble pas offrir d’autre échappatoire que la fin définitive de la communauté.

Parallel universe

Boyle et Hodge choisissent de terminer le film par un plan d’une mappemonde « informatique » qui s’ouvre sur un cyber-café. Fin à la fois très ironique, mais en même temps assez réaliste. Richard le routard, en quête d’absolu, se retrouve derrière un écran d’ordinateur, mais un ordinateur qui offre peut-être plus d’humanité que son éden passé, car il est ouvert au monde entier. « Le Paradis n’est pas un endroit que l’on peut chercher. Ce n’est pas le lieu qui compte, c’est ce qu’on éprouve à l’instant où on l’atteint ». Bien dit !

Squizzz

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