En bientôt 20 ans de carrière au cinéma et dix longs-métrages ( « Trance » vient de sortir en Grande-Bretagne et sera sur les écrans français le 8 mai prochain), Danny Boyle est devenu un réalisateur britannique incontournable et a su imposer un style propre, entre « pop culture » et réflexion sur la société et l’humanité. Retour sur une carrière à la fois cohérente et pleine de surprises.

Une filmographie éclectique

Danny Boyle est un touche à tout. Il débute au théâtre en tant que metteur en scène, et passe notamment par la prestigieuse « Royal Shakespeare Company », avant de se tourner vers la télé, où il fait ses premières armes en tant que producteur et réalisateur. Alors forcément, lorsqu’il se lance dans l’aventure du septième art, il ne va pas se cantonner à un seul genre mais explorer différents univers.

On peut diviser l’œuvre cinématographique de Danny Boyle en trois grandes périodes, très intimement liées aux personnes avec lesquelles il a le plus fréquemment collaboré. La première sera celle de la « Bag of Money Trilogy », qu’il réalisera avec ses deux comparses rencontrés pendant ses années de télé, le scénariste John Hodge et le producteur Andrew Macdonald. Danny Boyle travaillera en étroite collaboration avec eux, très investis dans la conception des films, bien au-delà de leurs simples rôles initiaux. On peut bien évidemment ajouter à ce trio, Ewan McGregor, acteur principal des trois longs-métrages. Cette « Bag of Money Trilogy » est une digression autour du thème de l’argent et de ses méfaits. Si elle conserve une certaine unité de style, elle se compose de trois films de genres différents : une comédie noire « Petits meurtres entre amis », un drame « Trainspotting » et une comédie romantique « Une vie moins ordinaire ». Cependant il n’est pas toujours évident de mettre les films de Danny Boyle dans une case, le réalisateur aimant à mélanger les genres et à les revisiter. Parmi ces trois films, l’exemple le plus frappant est sans doute celui d’ « Une vie moins ordinaire ». S’il respecte la structure de la comédie romantique et certains de ses codes, il s’amuse aussi à les pulvériser et à en dévoiler toutes les ficelles. « Une vie moins ordinaire » s’apparente alors plus à une comédie loufoque où la romance s’entrechoque avec le fantastique et le thriller.

Après cette trilogie prometteuse et une première incursion sur le territoire américain « Une vie moins ordinaire », pas étonnant de voir Hollywood faire les yeux doux à Danny Boyle. Le réalisateur va alors signer son premier (et seul véritable) blockbuster, « La Plage », qui va créer à la fois une rupture et une transition dans la carrière du cinéaste. Si on retrouve John Hodge au scénario et Andrew Macdonald a la production, « La Plage » s’éloigne du style très libre de la « Bag of Money Trilogy » pour rentrer dans un moule plus hollywoodien (même si la patte du réalisateur reste très visible). Danny Boyle se verra ainsi fortement incité à remplacer Ewan McGregor, au départ pressenti pour interpréter Richard, par Léonardo DiCaprio. Un événement qui créera un froid entre le réalisateur et le comédien au point de ne plus les voir tourner ensemble depuis (la récente annonce du projet de suite à « Trainspotting » fait cependant renaître les espoirs). « La Plage » s’avère aussi être un passage de flambeau entre John Hodge et Alex Garland, le premier adaptant le roman du second. Avec « La Plage » débute en effet une collaboration très fructueuse entre Danny Boyle et l’auteur Alex Garland, qui signeront ensemble par la suite les très réussis « 28 jours plus tard » et « Sunshine ». Toujours produits par Macdonald mais de manière plus indépendante que « La Plage », ces deux longs-métrages bénéficient d’une très grande liberté de ton. Deux purs films de genre cette fois. Le premier faisant renaître le film de zombies, le second trouvant parfaitement sa place parmi les grands titres de la science-fiction. Deux films à la fois très référencés, respectant bien les codes, tout en étant très personnels. Boyle et Garland y poursuivent, de façon plus approfondie que dans « La Plage », leur analyse de la société actuelle et de l’humanité, de son rapport à la nature, à l’univers et au mystique.

Parallèlement Danny Boyle se lance dans la réalisation de projets dont il n’est pas directement l’initiateur et qui semblent a priori plus éloignés de son univers : « Millions », écrit par Frank Cottrell Boyce, et « Slumdog Millionaire » sur un scénario de l’auteur de « The Full Monty », Simon Beaufoy. Le réalisateur y retrouve cependant un certain nombre de ses thèmes privilégiés, le rapport à l’argent en premier lieu. Il y impose aussi clairement sa marque de fabrique et continue son exploration des différents genres, le film pour enfants avec « Millions » et le cinéma populaire avec « Slumdog Millionaire », qui par ailleurs mélange romance, aventure, chronique sociale, thriller, drame et comédie. Ce dernier, succès mondial surprise, va révéler le réalisateur aux yeux du grand public. Pourtant, quand Boyle s’associe une nouvelle fois à Beaufoy, c’est pour raconter une histoire très différente de « Slumdog Millionaire », celle d’Aron Ralston, alpiniste resté coincé pendant plus de cinq jours au fond d’un canyon, le bras prisonnier d’un rocher. Avec « 127 heures », le réalisateur se lance donc dans le survival et le film en huis-clos. Mais une fois de plus il prend ces genres à contre-pied pour en faire une fable humaine.

Ces dernières années, Danny Boyle semble une nouvelle fois se diversifier avec un retour à ses premières amours. Il met ainsi en scène « Frankenstein » de Nick Dear au Royal National Theatre de Londres. Une plongée dans le fantastique toujours très marquée par son style et qui lui permet encore une fois de disséquer les comportements humains (les deux acteurs, Benedict Cumberbatch et Jonny Lee Miller, intervertissent les rôles du Dr Frankenstein et de la Créature en fonction des soirs). Fort du succès mondial de « Slumdog Millionaire », il se voit également proposer la mise en scène de la cérémonie d’ouverture des J. O. de Londres en 2012. Danny Boyle n’en abandonne pas pour autant le cinéma. Il se lance cette fois-ci dans le thriller avec « Trance », qui pourrait par ailleurs être un retour au cinéma de ses débuts, le réalisateur collaborant de nouveau avec John Hodge, 14 ans après « La Plage ».

De l’art de l’esthétisme

Si Danny Boyle s’est attaqué à de nombreux genres différents, sa mise en scène reste par contre, elle, assez facilement décelable. On peut clairement parler d’un style Danny Boyle, au point que certains lui reprochent un côté tape-à-l’œil. Le réalisateur est en effet adepte d’une mise en scène assez dynamique, aime à utiliser toutes les possibilités offertes par la caméra, la lumière et l’image. Travellings en tout genre, courtes focales, split-screen, images subliminales, réduction du nombre d’images par seconde, décors oniriques, montage clippesque, utilisation d’appareils photos pour filmer, photographie très colorée… Autant de techniques qui se retrouvent au gré de sa filmographie. Pourtant, résumer son style par le simple adjectif tapageur serait rester bien trop en surface. Il y a une réflexion derrière cette mise en scène. La structure des plans ou encore les décors des films de Boyle font souvent preuve de symbolisme (voir en particulier « Trainspotting » ). Le réalisateur accorde également beaucoup d’importance au montage pour orienter de manière subliminale le regard du spectateur. La narration principale de « Slumdog Millionaire » passe notamment par ce processus, mais « Sunshine » et « 127 heures » l’utilisent également de manière très efficace.

L’intérêt d’une telle mise en scène, qui ne fait pas dans la demi-mesure, peut être divers. Elle permet parfois d’imposer un climat émotionnel particulier, un côté très décalé dans « Petits meurtres entre amis » et « Une vie moins ordinaire », un univers underground et les hallucinations dues à la drogue dans « Trainspotting », l’onirisme de l’enfance dans « Millions ». Dans d’autres cas, elle familiarise le spectateur à un univers inconnu ou à faire plus facilement passer des choses difficiles, la réalité des bidonvilles dans « Slumdog Millionaire », la situation d’Aron Ralston dans « 127 heures », l’overdose et le sevrage dans « Trainspotting ». D’ailleurs, derrière ce premier aspect très stylisé de la mise en scène de Boyle, apparaît très souvent un second plan beaucoup plus réaliste, qui transparaît parfois très clairement dans la mise en scène notamment dans « Slumdog Millionaire » (utilisation de caméras SI2K et d’appareils photo, tournage en pleine rue dans la foule, plans volés…) ou encore dans le côté documentaire de « 28 jours plus tard », tourné en DV.

« 28 jours plus tard » et « Sunshine » sont cependant des films à part dans la filmographie de Boyle. Si leurs mises en scène reposent toujours sur quelque chose de très esthétique, elles sont plus dans la retenue, plus recentrées, mieux digérées et plus matures. « 28 jours plus tard » possède un véritable climat post-apocalyptique très réaliste que contrebalancent par moment des séquences oniriques. « Sunshine » est avant tout une expérience sensorielle, tant par son magnifique traitement de la lumière que par celui du son, qui fusionne avec la sublime partition signée John Murphy et Underworld, les partenaires principaux des bandes originales de Boyle.

La musique a d’ailleurs un rôle prépondérant dans ses films, que ce soient les partitions originales comme dans « 28 jours plus tard » ou « Sunshine » ou les morceaux additionnels comme dans « Trainspotting », « La Plage », ou « 127 heures ». Boyle a le don pour trouver des musiques qui s’harmonisent parfaitement avec sa mise en scène (voir par exemple la séquence du braquage du train dans « Millions » sur fond de Muse). Dans « Slumdog Millionaire », le compositeur indien A. R. Rahman a su trouver le ton juste entre un hommage au style de Bollywood et les sonorités électro-pop chères au réalisateur.

La dernière chose qui transparaît dans la mise en scène de Danny Boyle est son amour pour le cinéma. Chacun de ses films multiplie les références aux plus grands. Parmi les plus marquantes : « Orange mécanique » dans « Trainspotting », « Apocalypse Now » dans « La Plage » et « 28 jours plus tard », « Alien » et « 2001, l’Odysée de l’espace » dans « Sunshine » … « 28 jours plus tard » est un hommage aux films de Romero, « Slumdog Millionaire » au cinéma de Bollywood. Boyle aime par ailleurs reprendre les codes de certains genres pour donner une atmosphère à certaines scènes, comme dans « Une vie moins ordinaire », avec sa séquence comédie musicale des 50’s ou son faux duel façon western.

Des thématiques récurrentes

Danny Boyle n’est pas seulement obnubilé par l’esthétique de sa mise en scène, mais également par des sujets qu’il ne cesse de développer depuis ses débuts. Le premier est bien évidemment l’argent, centre névralgique de la « Bag of Money Trilogy », mais qu’il a de nouveau abordé dans « Slumdog Millionaire » et « Millions ». Ce dernier et « Petits meurtres entre amis » sont d’ailleurs à mettre en parallèle. Dans les deux cas des personnes lambda se retrouvent avec un gros sac de billets qui va changer leur vie et les confronter à l’égoïsme et la soif de pouvoir des hommes. Au regard très caustique de « Petits meurtres entre amis » qui voyait des amis s’entretuer pour le magot, « Millions » substitue par contre la victoire de l’entraide. Une morale plus appropriée dans un film pour enfant, certes. Cependant, la fibre humaniste de Boyle semble de plus en plus marquée avec le temps. Ainsi, si on met cette fois-ci en parallèle « Une vie moins ordinaire » et « Slumdog Millionaire », où l’argent apparaît plus secondaire aux yeux des héros, on remarque que le premier se clôt sur des amoureux qui claquent leur fric assez égoïstement en faisant un pied de nez à ceux qui couraient après, alors que la fin de « Slumdog Millionaire » occulte totalement l’argent pour se focaliser sur l’amour.

Derrière le côté assez hype de sa mise en scène, Danny Boyle n’hésite en fait pas à jeter un regard assez critique sur la société qui l’entoure. Constat des années post-Thatcher dans « Petits meurtres entre amis », disparités des classes indiennes dans « Slumdong Millionaire » … Beaucoup des héros de Boyle tentent d’échapper à leur société. Renton et ses comparses se cament pour fuir la réalité d’une Ecosse en crise dans « Trainspotting », Richard et Aron Ralston, chacun à leur manière, s’écartent des villes et d’une société de consommation dans « La Plage » et « 127 heures ». Pour autant, leurs tentatives se soldent à chaque fois par des échecs. L’exemple le plus probant est celui de « La Plage » où la nouvelle société fondée ne peut pas se passer de celle qu’elle cherche à fuir et réitère ses erreurs, dressant un constat assez fataliste de la mentalité humaine. Cependant, là aussi il y a une certaine évolution dans le propos de Boyle. Là où Renton, sevré de la drogue, retournait à la société avec beaucoup d’égoïsme (il laisse une partie de ses « potes » en rade) et non sans ironie, Richard et Aron voient un certain espoir en l’humanité et dans les rapports entre les hommes.

« Sunshine » et « 28 jours plus tard » reprennent ces idées à un niveau supérieur. Les deux films se situent respectivement dans un climat pré et post-apocalyptique et voient donc l’avenir du monde remis en question. Dans « 28 jours plus tard », la contagiosité du virus crée une méfiance entre les hommes, les éloignant les uns des autres au point de leur faire perdre leur humanité (voir la dernière partie chez les militaires). Or c’est bien par la confiance retrouvée, dans l’entraide et la formation d’un nouveau foyer que les héros voient renaître l’espoir d’un nouveau départ. « Sunshine » va jusqu’à confronter l’homme en tant qu’individu à l’Homme en tant qu’humanité, les astronautes étant voués au sacrifice pour sauver leur planète. En parallèle ceux-ci sont confrontés aux origines de la vie et à la relation de l’Homme au monde qui l’entoure. Thème déjà abordé dans « La Plage » où la société de Sal recherchait un Eden terrestre, qui finissait par lui échapper, la nature reprenant ses droits sur ces hommes qui la défiaient. Le Soleil de « Sunshine », par l’attraction et le danger qu’il représente pour les astronautes, possède un côté divin, à la fois indispensable à leur survie mais également capable de leur ôter la vie. Le fait que celui-ci se meure et que les hommes cherchent à le rallumer est un symbole fort. Il y a là l’Homme qui se prend pour Dieu, un contrôle ultime de la nature, mais également une humanité qui reprend son destin en main alors même qu’elle est sur le point de se briser. Parce qu’il reprend tous les thèmes chers à Danny Boyle et les pousse à leur paroxysme, « Sunshine » est surement le point d’orgue de la filmographie du réalisateur, prouvant par là même qu’il n’est pas qu’un simple faiseur d’images tape-à-l’œil pour le bon vouloir de l’entertainment.

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