Bonjour à tous, aujourd’hui j’ai le plaisir de vous présenter le second article de Squizzz qui, après sa très bonne chronique de Petits meutres entre amis,, nous fait le plaisir de faire celle du second film Danny Boyle Trainspotting qui est certainement l’un, voir le plus culte de toute son exceptionnelle filmographie

Festival de Cannes 1996. Après avoir conquis la Grande-Bretagne, Danny Boyle vient secouer la Croisette en présentant Hors Compétition son Trainspotting, directement qualifié de Orange Mécanique des années 90, tant pour son côté provoc’ dénoncé par les plus conservateurs que par son étonnante maîtrise, saluée par la majeure partie du public et de la critique. Adapté du roman éponyme d’Irvine Welsh, le film suit le parcours d’un jeune junkie et de sa bande de potes, entre défonces et tentative de survie dans une Ecosse en pleine crise. Danny Boyle retrouve pour l’occasion son trio gagnant de Petits meurtres entre amis : Ewan McGregor en tête de casting, John Hodge au scénario et Andrew Macdonald à la production. Tentative d’analyse d’un des plus grands films britanniques, dérangeant certes, mais dans le bon sens du terme.

Une vision lucide de la drogue

« Trainspotting » : terme anglais désignant une activité qui consiste à répertorier l’ensemble des locomotives d’une société ferroviaire ou, par extension, toute obsession pour des choses plus ou moins futiles. Si on en croit le film, il semblerait bien que l’Homme ait une prédisposition pour devenir dépendant à une multitude de choses. Le sport et sa copine sont les drogues de Tommy, l’alcool et la violence celles de Bergie, les seuls mecs « clean » de la bande. On peut aussi virer maniaque juste à cause du ciné et de la télé (la « ligne » de VHS), ou de James Bond, sans compter le sexe et l’amour qui bouillonnent en Renton tel un « volcan » dès qu’il lâche la came (voir la scène de la sortie de la boîte et sa représentation magnifique du coup de foudre et du désir), à moins que ce ne soit l’argent (cf. suite de l’article).

Pas étonnant donc que l’Homme soit de nature à se laisser emporter par la vague des drogues dures qui surpassent l’ensemble des autres obsessions au point de les reléguer au rang des futilités. C’est donc pour oublier la vie et le vide de son quotidien que Renton se pique à l’héro. C’est aussi par rejet d’une société qui ne lui correspond pas (cf. la séquence dans le parc où Sick Boy « flingue » la société-modèle). Sans compter qu’un shoot, ça vaut « mille orgasmes ».

Il flotte ainsi sur la première partie de Trainspotting un élan de folie douce, une légère insouciance, comme lors des premières piqûres, quand la dépendance n’a pas encore pris le dessus. Même décrocher semble aisé : un petit air de « Carmen » et quelques règles à respecter comme dans un jeu, et le tour est joué. Pourtant, sous ses airs de comédie « second degré », il plane déjà dans cette première partie l’ombre d’un danger, Renton étant prêt à se foutre dans la merde et à frôler la mort pour récupérer deux suppos d’opium (cf. détails sur la séquence plus loin).

Plus dure va être la rechute, et le film va alors prendre une toute autre tonalité. La délinquance, le trafic, jusqu’alors occultés par le film, font surface. La drogue est une maladie qui se transmet, et c’est Tommy qui en fait les frais. Le point de non retour survient lorsque le bébé, seul lien avec la réalité et ses responsabilités, qui, bien que presque irréel, subsistait aux instants de défoncent, disparaît également. Jusque là, la mort aussi avait été cachée, elle nous éclate cette fois-ci en pleine face, lors d’une séquence dont l’atrocité est montrée de la manière la plus brute qui soit. Le sevrage va s’avérer plus complexe lui aussi, et ce n’est pas un procès et des traitements de substitution qui vont suffire. Renton prend alors la porte de secours et fait le mur pour replonger une nouvelle fois (cf la séquence qui suit celle du tribunal). La fois de trop, celle de l’overdose.

Le sevrage se fera donc de manière forcée, la chambre de son enfance faisant office de prison et ses parents de bourreaux. Une séquence qui retranscrit parfaitement l’infantilisation provoquée par l’héroïne, mais également la difficulté du sevrage sans substitution. Boyle multiplie les astuces pour donner l’impression que son personnage sombre dans les abîmes, ou au contraire se sent totalement oppressé : techniques visuelles (courtes focales, travellings dont un faux compensé, gros plans…), décors (motifs alignés du papier peint, murs anormalement longs, claustrophobie sous les draps…), musique électro redondante d’Underworld, hallucinations (apparitions de personnages dont un bébé mort). Ce sont les reflets des conséquences de la drogue sur sa vie. C’est également lors de cette séquence qu’apparaît le dernier risque auquel expose l’addiction à l’héroïne, le SIDA. La maladie est d’abord présentée par son côté scientifique, trop incompréhensible pour qu’on s’y intéresse, entraînant alors une contamination qui n’est que le fruit du hasard (voir la comparaison avec la loterie). Une fois contaminé, le séropositif se voit totalement rejeté par la société qui le montre du doigt (cf. les inscriptions sur l’appartement de Tommy : « Aids junky scum » soit « ordure de junkie séropositif » et « Plague » soit « sale peste »). Ainsi reclus et abandonné, Tommy n’a plu qu’à attendre la mort. Il ne restera au final de lui qu’un chat et un ballon de foot, derniers témoins de celui qu’il a été dans une autre vie, où il était drogué à l’amour et au sport (cf. le sublime plan en travelling arrière lors de l’enterrement). Bref, pour ce qui est de l’apologie de la drogue que certains reprochent au film, on repassera.

Entre réalisme et surréalisme

Trainspotting est un peu du pain béni pour un réalisateur tel que Danny Boyle, adepte d’une mise en
scène toujours en mouvement, bien rythmé et esthétisante. Ainsi, comme on a déjà pu le voir avec la
séquence du sevrage, le film regorge de scènes oscillant entre réalisme et cauchemar, telles la vision
déformée du monde sous héroïne.

Pour illustrer notre propos, penchons-nous sur deux séquences cultes. La première sera celle de Renton en fin de trip, se retrouvant à se vider dans « les pires toilettes d’Ecosse », véritable métaphore de ce que peut être amené à subir quelqu’un en manque. Le surréalisme passe d’abord par le décor exagérément glauque des toilettes avant de sombrer dans l’hallucination avec le plongeon de Renton dans la cuvette. La séquence prend alors une autre tournure, celle d’une sorte de rêve, Renton « flottant » à l’idée de retrouver ses suppositoires, même si la présence de la mine maintient le côté cauchemardesque de la scène.

La seconde séquence sera celle de l’overdose de Renton. Elle alterne constamment entre vision fantasmée et vision très réaliste. Elle débute par un jeu où Renton vient prendre sa dose chez son dealer comme s’il allait au resto, mais ce jeu est déjà brouillé par plusieurs très gros plans significatifs de l’injection. Renton plonge alors au fond du trou (= tombeau), et son champ de vision se retrouve largement amputé. Alors que l’on comprend clairement que ça va mal pour Renton, Boyle continue le petit jeu du resto et l’envoie à l’hosto via un taxi. Mais là encore, une ambulance passe dans le champ pour rappeler la gravité de la situation. Cette utilisation d’une vision déformée qui pourrait au premier abord diminuer la tension dramatique de la séquence ne fait en vérité que l’augmenter. Elle démontre en effet l’insouciance des deux personnages, et ajoute une dimension émotionnelle car plus proche du personnage. Cette dimension est en plus amplifiée par le « Perfect Day » de Lou Reed.

Enfin, concernant l’esthétisme général du film, Boyle s’est inspiré du travail du peintre de la cruauté Francis Bacon pour sa capacité à naviguer en permanence entre réalité et irréalité. On retrouve effectivement dans le film l’influence de certaines de ses oeuvres, notamment dans les couleurs utilisées, avec soit des teintes très grises soit à l’inverse une saturation de couleurs. Un dessin au mur dans l’appartement de la Mère Supérieure n’est pas non plus sans rappeler certains tableaux de Bacon.

« Bag of Money Trilogy »

Si Trainspotting a remporté un aussi grand succès en Grande-Bretagne (et dans le reste du monde), c’est parce qu’il va au-delà du simple thème de la drogue. Le film décrit une génération paumée dans une société qui ne lui correspond pas, et qui surtout ne peut pas lui offrir grand chose du fait de la récession économique. Ainsi, le deuxième volet de la « Bag of Money Trilogy » de Boyle (centrée sur les méfaits de l’argent) prend une dimension plutôt sociale. L’une des raisons (mais pas la seule loin de là) de la plongée dans la toxicomanie de la bande de Renton est le manque de perspective d’avenir liée au ralentissement économique. Mais, paradoxalement, l’addiction aux drogues dures finit par leur coûter très cher et à les faire sombrer dans la délinquance.

De même, assez ironiquement, une fois sorti de la drogue, Renton se retrouve à bosser dans l’immobilier et à se prendre au jeu de la musique « profits, pertes, marges bénéficiaires, prêts… ». Le virus du fric emporte petit à petit les membres de la bande qui finissent par passer du côté des dealers, histoire d’empocher un bon butin. Et comme dans le premier volet de la trilogie, Petits meurtres entre amis, l’argent finit par avoir le dessus sur l’amitié. Ce n’est qu’armé d’une bonne mise de départ que Renton finit par prendre la décision de se ranger complètement. La boucle est bouclée.

Le Orange Mécanique des années 90

Ce qualificatif de « boucle bouclée », souvent repris par les critiques, n’est pas anodin et est entièrement assumé par Boyle via l’hommage qu’il rend au chef-d’oeuvre Orange Mécanique de Kubrick lors de la séquence de la discothèque. Un travelling avant (arrière dans l’original), à travers deux rangées de tables, se rapproche doucement de Tommy et Spud, tandis qu’on peut distinguer au dessus d’eux des « Joloko » à la police de caractères identique aux « Moloko » d’origine. Outre l’aspect provoc’ commun aux deux films, ils se rejoignent surtout par leurs personnages principaux et leurs trajectoires. Boyle cite lui-même comme référence au personnage de Renton l’Alex d’Orange Mécanique et sa légendaire ambiguïté, repoussant et attirant à la fois. Les deux personnages sont tous les deux en marge de la société, drogués (à l’héroïne ou à la violence) puis contraints à se soigner (par ses parents pour Renton, par l’Etat pour Alex). La seule différence a lieu à la fin, Alex finissant par reprendre sa vraie nature, Renton se rangeant définitivement. Le flou final montrant une perte complète de sa personnalité d’origine… ou, au contraire un avenir incertain et une rechute possible. Finalement, le doute subsiste bel et bien.

Dans la mise en scène aussi, les deux films peuvent être rapprochés. Par leur côté ultra-esthétisant d’une part, par leur pluralité de ton d’autre part (entre humour et gravité) et, enfin, par l’importance accordée à la bande originale. Si les influences sont différentes (quoique Kubrick présentait un Beethoven aux accents relativement modernes et que Boyle utilise un air de « Carmen »), les deux réalisateurs savent admirablement détourner des musiques préécrites pour coller au plus près de l’ambiance de leurs films.

Pour conclure, disons que les deux films, bien que très ancrés dans leurs époques, arrivent à traverser les âges sans prendre de rides, et ce, de part l’intemporalité de leur propos. C’est peut-être ça le propre des films cultes…

Squizzz

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