Nous continuons notre dossier sur les dialogues au cinéma à travers l’histoire. Après un premier article sur le cinéma muet, aujourd’hui nous allons voir les débuts du parlant !

DES MOTS À LA CACOPHONIE…

1929 : le cinéma parle. Un an plus tard, c’est déjà le règne des mots d’auteurs. De GUITRY à AUDIARD, en passant par PRÉVERT, JEANSON et les autres, des années de propos qui feront des étincelles… Mais avant de parler, le cinéma passe d’abord par une phase de bavardages. En effet, tout ce que le théâtre de boulevard des années 20 et 30 comptait de vaudevilles et autres farces, le cinéma se contenta de l’enregistrer et le filmer sur grand écran.

Ce fut là une belle cacophonie, au point que certains regrettèrent très vite le défunt Muet… L’arrivée de PAGNOL et GUITRY allait toutefois vite arranger les choses. Avec eux, les mots au cinéma n’étaient plus des meubles de théâtre, mais des fenêtres sur le monde.

De cette cacophonie naitra une spécificité purement française : le dialoguiste.

LE CLAN DES ANARS POÈTES

« Vous écoutez aux portes maintenant ? – Oh vous savez, moi, je n’ai pas de préjugés ! » GABIN et BERRY

JACQUES PRÉVERT
JACQUES PRÉVERT

Le premier dialoguiste à faire des étincelles dans cette nouvelle fonction : JACQUES PRÉVERT. De QUAI DES BRUMES aux ENFANTS DU PARADIS, PRÉVERT enrichit de son non-conformisme, à la fois sombre et lumineux, tout un pan du cinéma français.

Ses personnages parlent un peu comme chantent les oiseaux : davantage pour le son que pour le sens ! Mais c’est souvent magistral, farfelu, décalé, osé… tout à la fois ! À chaque auteur, un nouveau style, de préférence, différent : HENRI JEANSON qualifié d’orfèvre des mots d’auteur.

HENRI JEANSON
HENRI JEANSON

En plus d’entrer dans les cercles des « anars » (pour anarchiste), JEANSON était aussi un polémiste acerbe, il écrivait dans Le

Canard enchainé. Il avait aussi la réputation de ne lésiner personne, et en premier les films qu’il dialoguait. Il les esquintait dans ses critiques de « L’Aurore »…

Les répliques JEANSON relèvent essentiellement du persifflage (propos ironiques, satiriques, moqueurs…) il a ainsi donné pour l’éternité une gueule d’atmosphère à l’ARLETTY « D’HÔTEL DU NORD »

 

AVANT L’HEURE DU GÉNIE…

« Ma chère, vous êtes un type dans mon genre, vous n’aurez jamais de chance avec les femmes » JOUVET DANS QUAI DES ORFÈVRES

Cette réplique s’adresse à SIMONE RENANT, une lesbienne repoussée par SUZY DELAIR. On l’ignore souvent, mais CLOUZOT s’y connaissait aussi dans le choix des mots, et certaines de ses répliques ont leur place dans le dictionnaire, comme celle citée juste à l’instant.

Dans cette période naissent des scénaristes « académiciens », qui taillent dans la chair des mots de belles statues. Exemple, « LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE » – COCTEAU aux dialogues, ROBERT BRESSON à la réalisation – Dans ce film, les dialogues sont de grande classe, ce qui a le don d’agacer BRESSON, qui n’osa pas toutefois en couper.

Les années 50 voient l’apparition de deux complices de l’écriture. Des travailleurs à quatre mains qui se partagent la tâche et qui vont nous offrir des perles : LE DIABLE AU CORPS, DOUCE, LA TRAVERSEE DE PARIS, L’HORLOGER DE SAINT PAUL. Ce duo : JEAN AURENCHE d’une part, la répartie, et PIERRE BOST d’autre part, la construction.

AURENCHE avait une façon particulière dans un souci d’ordre moral et social, refus du clinquant et de la gratuité. La règle essentielle pour eux : jouer la situation, rien qu’elle !

PUIS VINT LE GÉNIE… (L’HOMME À LA CASQUETTE)

Monsieur MICHEL AUDIARD. Il va créer un univers à part, verve, abrupte. Un véritable génie de la formule. Une fabrique à joyaux, parfois sans aucun rapport avec l’histoire racontée (LE GUIGNOLO), parfois au contraire, scénario et dialogues indissociables (GARDE A VUE, MORT D’UN POURRI, ON NE MEURT QUE DEUX FOIS) et surtout, magnifique dans la comédie : LES TONTONS FLINGUEURS, LES BARBOUZES.

AUDIARD vous écrivait un dialogue en une semaine, en une journée, ou plutôt, il vous le parlait, allant et venant devant vous, fulgurant et humble à la fois. Si un mot ne faisait pas mouche, il vous en trouvait un, deux, ou dix autres.

AUDIARD s’est toujours étonné de ce métier : « qui consiste à griffonner sur du papier ce qu’on dirait de toute manière à des types au bistrot ou dans la rue. Au lieu de déconner dans le gratuit, on est payé pour ça ! Quand on est de nature constante, c’est pas le métier fatigant… »

PREVERT, JEANSON, AUDIARD, AURENCHE…c’était de la musique… un bon dialogue est un dialogue qui ne s’entend pas…qui s’écoute…

la traversŽe de paris 1956 rŽal : Claude Autant Lara Bourvil Jean Gabin Collection Christophel
JEAN GABIN et BOURVIL dans  La traversŽe de paris
(1956) de CLAUDE AUTANT-LARA

 

DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE…

« Un langage recherché est plus nuisible qu’un whisky de mauvaise qualité… » JOHN BARRYMORE

Chez nos compatriotes américains, les débuts du parlant sont un peu plus laborieux. Pour eux, le dialogue n’est pas une discipline à part du scénario, c’est un des aspects. Surtout, une autre raison, moins évidente vient relativiser l’importance des dialogues.

En effet, dans les années 30, l’immigration roule à un rythme spectaculaire (près de 20 millions de personnes entre 1901 et 1930). Ces nouveaux clients, asiatiques, italiens, russes… qui viennent alimenter les salles de cinéma, pas très familiers avec la langue anglaise sont plus sensibles, au contraire, à l’image.

L’EMERGENCE DES PREMIERS DIALOGUISTES…

Durant les années 30, les studios ont une fâcheuse manie : quelque soit l’auteur star engagée, plusieurs personnes se succèdent systématiquement pour modifier ou améliorer un scénario. Une ribambelle d’auteurs, de SIDNEY HOWARD à ROBERT SHERWOOD, sont dégoutés par cet art qui ose afficher au générique de fin de LA MEGERE APPRIVOISEE : dialogues de WILLIAM SHAKESPEARE, dialogues additionnels de STAN TAYLOR…

Autre exemple, les scénaristes de CASABLANCA, les deux frères EPSTEIN, HOWARD KOCH et CASEY ROBINSON (qui au passage n’apparait même pas au générique) se sont disputés sur leurs contributions respectives.

Dans l’ordre, on sait que les frères EPSTEIN, réputés pour la comédie, ont apporté les répliques drôles de HUMPHREY BOGARD, alors que la grande réplique finale aurait été trouvée par le producteur HAL WALLIS.

L’ÉPOQUE DES DIVAS…

Cette époque est aussi connue pour celle des superstars et des divas. Les comédiens orientent en permanence les dialogues. Des acteurs, et surtout des actrices, harcèlent leurs dialoguistes. Exemple, CLAUDETTE COLBERT appelle tard chez lui tous les soirs ALLAN SCOTT, son scénariste d’ADIEU JEUNESSE. LANA TURNER exige que DONALD OGDEN STEWART réécrive toutes ses répliques de CASS TIMBERLAINE, de GEORGES SIDNEY. L’ère des dialogues conçus sur mesure.

On l’aura compris, le cinéma américain de cette période malmenait le dialogue. Les dialogues sont à la fois un outil indispensable et une contrainte que les auteurs acceptent ou craignent, en fonction des caprices des stars. Hollywood caractérise bien tout le désarroi des mots…

J’attends vos retours, apports et autres avis dans les commentaires 😉

Jean Claude

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