Bonjour à tous. J’ai le plaisir d’accueillir Antoine Guibert : Chef opérateur talentueux qui nous livre aujourd’hui une analyse sur la manière de filmer la ville la nuit. Cet article pose notamment la problématique de la représentation symbolique de la ville. Bonne lecture !
Les extérieurs nuits au cinéma, ont évolué en même temps que la technique cinématographique car elle présente des éléments qu’il n’a pas toujours été facile de reconstituer.
Recréer la ville
L’arrivée de l’éclairage électrique dans les villes coïncide presque avec l’arrivée du cinéma vers la fin du XIXe siècle, d’abord uniquement tourné en studio puis avec le temps dans des décors naturels, la ville la nuit a suscité de nombreuses interprétations. On peut d’abord s’appuyer sur deux films produits la même année qui a approché ce sujet de deux manières opposées.
L’aurore et Metropolis sont deux films importants dans l’histoire du cinéma par leur avant-gardisme tant sur la forme que sur le fond. Ils sont produits dans un contexte qui n’est pas dut au hasard. En effet les années 20 marquent la naissance de l’architecture et de l’urbanisme moderne.
L’aurore, F.W Murnau
L’aurore, réalisé en 1927 par F.W Murnau et tourné en studio à Hollywood, met en scène un homme dans un village qui, sous l’influence d’une femme de la ville, tente de tuer sa femme. N’acceptant pas de le faire, sa femme s’enfuit alors dans un tramway en direction de la ville, il part alors à sa recherche. Cette ville dans laquelle ils se retrouvent est une figure de la modernité qui s’installe durablement à cette époque en opposition directe avec leur village et leur mode de vie, ils apparaîtront pourtant au fil du film plus à l’aise et décomplexé que les « gens de la ville ». Le film nous interpelle quand à l’idée que la ville la nuit donnait à l’époque, on comprend que c’est par une débauche et une densité de lumière qu’elle séduit et impressionne pour y donner l’impression d’un paradis artificiel par ses tentations et attractions, les façades recouvertes de lumières masquant ses effets négatifs, bien représentées par le Luna Park. A l’inverse de cette réalité, la ville sera, pour le couple de paysans, le temps d’une seconde lune de miel et de la reconquête, d’un instant éphémère et détaché de leur quotidien qui va les reconduire vers un temps heureux.
Metropolis, Fritz Lang
A l’opposé de cette vision de la ville se situe Metropolis de Fritz Lang. Inspiré par New York et ses grattes ciels, Metropolis porte à l’écran une véritable ville-‐machine futuriste qui vit de la sueur des travailleurs pour y servir une poignée de riches. Par un jeu habile de maquettes et de trucages, la ville est vue comme une nouvelle Babel, divisant les gens pour la modernité et le progrès à tout prix. On y retrouve dans ce film une grande partie des aspects des villes modernes la nuit, oscillant entre débauche, argent, insécurité et plaisirs. Bien que critiqué pour son scénario très manichéen, qui plu aux régîmes fascistes qui ont suivis, metropolis à été perçu à l’époque comme une possible urbanisation des villes pour les années 2000, bien loin des visions de Le Corbusier qui vont se révéler tout aussi chaotique et presque provocatrice vu d’aujourd’hui.
Le quai des brumes, Marcel Carné
Ce sera ensuite avec Marcel Carné et le quai des brumes que la ville sera photographiée par Eugen Schüfftan (aussi présent sur Metropolis) avec une différence notable. C’est au Havre, une ville assez calme, que se situe l’action où Jean, joué par Jean Gabin, se retrouve après avoir déserté. Bien que tourné en studio, la ville se veut réaliste, gardant l’organisation lumière de l’époque. Cela donne l’impression de longues rues alternant ombres et lumières et uniformisant la ville. L’éclairage de la ville est uniquement fait par les des lampes suspendues au-dessus de la route à des intervalles réguliers.
Blade Runner, Ridley Scott
La science-fiction et les films d’anticipation donnent une vision de la ville, en général chaotique, tel qu’elle pourrait exister dans le futur, c’est à dire en poussant l’urbanisme à son paroxysme.
Blade Runner de Ridley Scott, dont l’action se passe à Los Angeles en 2019, dépeint une ville à la hauteur immense qui est pensée comme un dédale. Le décor, rendu de façon très réaliste, reprend de nombreux éléments que l’on connaît dans nos villes actuelles et les multiplie pour rendre la ville tel qu’on la connaît et que l’on puisse bien s’immerger dans l’univers. En effet, on retrouve des grandes quantités de néons qui colorent la ville avec une surcharge démographie qui donne l’impression que la ville étouffe.