Voici le sixième article de notre dossier sur le crowdfunding, rédigé par Etienne Lunet, spécialiste en crowdfunding et production. Nous faisons donc suite à différents articles : Le crowdfunding – partie 1 Le crowdfunding partie 2 – Bien réussir sa campagne Les limites du crowdfunding – Le crowdfunding partie 3 Le court-métrage et le clip dans l »audiovisuel participatif – Le crowdfunding partie 4 La websérie et le financement participatif – Le crowdfunding partie 5 Dans cet avant dernier article sur le sujet, nous nous intéressons au long format audiovisuel qui ont été financé via une campagne de crowdfunding, les différents formats sont :

Le documentaire

En surfant sur Internet, on s’aperçoit très rapidement que le crowdfunding peut servir d’alternative à un manque de moyens de financement. Les collectes peuvent être bien déterminantes pour la survie des projets de documentaires. Elles s’apparentent aussi à un tremplin vers d’autres financements complémentaires, et tout aussi indispensables. CNC, collectivités, institutions publiques… Obtenir le soutien d’un producteur et d’un diffuseur est souvent conditionné par ces différents financements. Cependant, il n’est pas si aisé d’obtenir ces aides, c’est pourquoi un financement de départ par la foule peut donner un coup de pouce au projet. Il peut servir par exemple d’aide au développement renforcé, si le porteur de projet souhaite réaliser un pré-tournage et un pré-montage, en vue d’une bande annonce qui servirait d’appât à gain. Dans ce cas là, si la campagne se passe bien, le projet trouve des soutiens, tant financiers qu’humains, ce qui peut par la suite permettre de trouver de nouveaux financement par des voix plus conventionnelles. En regardant sur la plate-forme Touscoprod, « l’atelier du crowdfunding audiovisuel » sponsorisé entre autre par le CNC et le Festival de Cannes, on se rend compte que la majeure partie des porteurs de projets de documentaires ne demandent pas plus de 10.000 Euros, ces derniers servant de financement complémentaires. En jetant un œil sur quelques projets, je m’aperçois que ces petites sommes servent soit de coup de pouce pour lancer le projet en amont, soit pour le finaliser. Ainsi, la post-production et l’exploitation du documentaire peuvent trouver mécène sur ce type de plate-forme. Dans un autre cas de figure, certains porteurs de projet n’hésitent pas à demander de grosses sommes, ceci toujours dans l’espoir de compléter un budget déjà existant. C’est le cas de « Demain » et de « Inocente » respectivement César 2016 du meilleur film documentaire et Oscar 2013 du meilleur court-métrage documentaire. L’un a récolté sur KissKissBankBank 444.390 euros pour une espérance initiale de 200.000 Euros, l’autre 52.527 Dollars en un mois, sur Kickstarter. C’est d’ailleurs le premier film financé exclusivement grâce au modèle participatif. A côté de ça, plus d’un quart du budget de « Demain » a été financé par les internautes, ce qui montre que même les projets récents trouvent encore des contributeurs. Maintenant la question que nous pouvons nous poser c’est « Est ce que le documentaire trouve plus facilement des contributeurs que le long métrage de fiction ? » Partant du principe qu’il relate une réalité souvent évocatrice, qui serait plus susceptible d’atteindre émotionnellement un potentiel donateurs.

Long-métrage de fiction : fiabilité et risques

Est-il possible aujourd’hui de produire un long métrage uniquement grâce aux fonds d’internautes anonymes ? Aux États-Unis, où la culture du mécénat est très marquée, les résultats sont éloquents. En 2012, 10% des films présentés au Festival de Sundance ont recueilli des fonds participatifs. On peut notamment citer « Me @ The Zoo » de Chris Moukarbel et Valerie Veatch. En France, les producteurs sont de plus en plus nombreux à intégrer le financement participatif dans leur budget. Par exemple, Michèle Laroque a récolté 400.000 Euros pour son prochain film, « Jeux dangereux ». De même, « Polisse » de Maiween, « Les Infidèles » ou encore le premier film d’Audrey Dana, « Sous les jupes des filles », ont également fait appel à la générosité des internautes. Cependant, hormis pour les projets de courts-métrages, le crowdfunding n’est pas la seule source de financement. Dès lors, il ne doit pas encore être considéré comme un mode de production à part entière mais comme un apport monétaire de complément. Le long-métrage a ainsi toujours besoin de financements extérieurs provenant de producteurs professionnels ou de subventions. En se rendant sur la page du projet « Homosapiennes » (futur « Sous les jupes des filles ») sur Ulule, on découvre une note du producteur Olivier Delbosc, qui ne se cache pas de faire appel au financement par la foule : «Homosapiennes est produit par Fidélité Films. Le projet sur Ulule est porté par cette maison de production, mais sera aussi animé en direct par différents intervenants de l’équipe artistique et technique. »                                                                                                          Néanmoins, l’exemple américain montre que les projets participatifs sont davantage sollicités pour des œuvres dites « indépendantes » qui ne reçoivent pas d’avances sur recettes via d’autres biais. De plus, dans ce secteur, il faut relativiser cette révolution économique du crowdfunding et la cantonner à un public de proximité ou de fans. Dans ce cas, n’y a-t-il pas une dérive possible de faire financer son film par une base de fan ? S’il n’y a rien d’étonnant à ce que les proches se cotisent via une plate-forme de crowdfunding pour financer le premier court-métrage du cinéaste prodigue de la famille, cela le devient quand la participation des fans est prise comme une sorte de chantage pour se lancer dans la production du film. C’est le cas avec « Veronica Mars : le film ». Au début ce n’était qu’une série télévisée et le studio Warner Bros était réticent à l’idée de l’adapter pour le cinéma. Mais Rob Thomas, le créateur de la série, a alors lancé une campagne crowdfunding. En 31 jours, le projet a récolté 5,7 millions d’euros, convainquant ainsi le studio américain de produire le film. Cette initiative est l’exemple même d’une décadence des bienfaits du financement participatif. Sous le prétexte d’associer les fans à un projet, elle n’est que la conséquence d’une frilosité apparente du producteur à prendre des risques. Pire, la réussite de la collecte de fonds détermine l’existence même du projet. Les fans sont donc obligés de mettre la main au porte-monnaie pour que le projet aboutisse. Le crowdfunding peut être un moyen habile de profiter de l’altruisme des internautes pour lancer des projets impossibles à financer seul. Pourtant, s’il ne suffit pas en soi de produire des longs métrages, il faut se méfier des dérives des producteurs qui forcent les spectateurs, en plus du ticket de cinéma, à participer en amont au film s’ils souhaitent le voir un jour sur les écrans. En définitive, je retiens de toutes mes recherches que, pour le moment, le financement participatif n’est pas encore un modèle assez bien encadré pour en arriver à produire entièrement un long-métrage. Le sujet mérite d’être étudié car je pense qu’il y a de belles choses à faire. En revanche, il a été prouvé que l’on peut obtenir de belles sommes pour compléter un budget déjà existant. Cependant, il est toujours préférable d’avoir plus qu’une simple idée. En filmant une scène, ou une bande annonce, qui montre en quoi notre projet est original et qui donne envie de voir la suite, les porteurs de projet augmenteront leurs chances de lever des fonds. Dans le prochain et dernier article de notre dossier sur le crowdfunding, nous nous intéresserons à l’avenir possible de ce mode de financement. En attendant, n’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaire sur le fait que des longs métrages fassent eux aussi appel au financement participatif.

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