Au début du Cinéma, le scénario tient une place minime au sein du processus créatif d’un film. En effet, à cet époque, on peut distinguer 2 écoles. D’un côté, des films comme ceux de MELIES qui avaient des scénarios précis et méthodiques. MELIES était obligé de baser ses films sur des scénarios, afin de préparer au mieux ses effets spéciaux et son tournage en studio.
De l’autre côté, nous avons des réalisateurs qui écrivaient des scénarios en allant dans les studios, à l’image de MAX LINDER. Cet exemple n’est pas représentatif dans la mesure où cette écriture concernaient exclusivement des gags.
Les années 50 vont marquer un tournant. Ce sont les rédacteurs des CAHIERS DU CINEMA, qui allaient devenir les cinéastes de la nouvelle vague, qui vont changer la politique des auteurs. En effet, ils vont rétablir le réalisateur à la place de l’auteur véritable de son œuvre.
Dans les annes 50…
Le cinéma Français gît dans une certaine léthargie relative à sa prospérité économique. Un système de production hiérarchisé et corporatiste qui empêche toute éclosion de nouveaux talents. Les recettes qui avait fait le succès du « réalisme poétique » – importance donnée au scénario et aux dialogues, tournage en studio – ont fini par étouffer toute créativité.
Alors que les Maîtres d’avant guerre sont sur le déclin, les héritiers légitimes se cantonnent dans le genre prestigieux mais sans risque de l’adaptation littéraire : LE DIABLE AU CORPS, LA SYMPHONIE PASTORALE, GERVAIS…
L’autre problème qui émerge de cette overdose d’adaptation, concerne les histoires même des films. En effet, trop de cinéastes ont le tort de confondre qualité cinématographique et référence littéraire.
Ils lestent les scénarios de prolongement pseudo-philosophique souvent malvenus. Ainsi, RENE CLAIR parle de Faust et de Méphisto dans « LA BEAUTE DU DIABLE » (1949) abandonnant la légèreté de ses œuvres précédentes.
Et pendant ce temps-là, une bande de « jeunes turcs », cinéphiles passionnés, a pris le contrôle de la revue LES CAHIERS DU CINEMA. Dans leurs articles, ils n’hésitent pas à tirer à boulets rouges sur cette production soit disant de « qualité Française », et lui opposent le cinéma Américains dont ils sont les fervents admirateurs. On les désigne même parfois sous le nom de « hitchocko-hawksiens » !
Ces jeunes trublions se nomment ERIC RHOMER, JACQUES RIVETTE, CLAUDE CHABROL, JEAN LUC GODARD et un certain FRANCOIS TRUFFAUT… Et ainsi née LA NOUVELLE VAGUE…
Le cas « journal d’un cure de campagne »
Ce film, sorti en 1950 et réalisé par ROBERT BRESSON est une adaptation du roman de GEORGES BERNANOS, du même titre, et publié en 1936. Pour information, l’histoire parle d’un jeune prêtre catholique discret qui officie dans la petite paroisse artésienne d’Ambricourt, dans le nord de la France. Il est marqué par un cancer de l’estomac et son désespoir devant le manque de foi dans la population du village.
A l’époque, en pleine polémique sur l’adaptation de ce roman, un personnage inattendu va se faire l’avocat du diable en louant la fidélité littérale de ROBERT BRESSON. Ce personnage, c’est ANDRE BAZIN. Connaissez vous le lien entre BAZIN et TRUFFAUT ? Ce lien se résume en deux points. Premièrement, à l’époque où BAZIN participe à la création de RADIO CINEMA TELEVISION (qui deviendra par la suite TELERAMA), il prend sous son aile un jeune passionné de cinéma dont il deviendra le père spirituel et le protecteur, au point même de le loger chez lui : FRANCOIS TRUFFAUT.
Deuxièmement, c’est encore BAZIN qui, en avril 1951, fonde les fameux CAHIERS DU CINEMA, qui servira de recueil de critiques aux futurs précurseurs de la NOUVELLE VAGUE.
Plusieurs critiques dénoncent activement l’influence néfaste de l’adaptation littéraire dans le cinéma Français. Mais c’est un jeune critique de 22 ans, écrivant dans une petite revue au tirage limité et sans audience (LES CAHIERS DU CINEMA à son lancement), qui rédigera l’article considéré à juste titre comme décisif. Il s’agit d’une exception célèbre, TRUFFAUT aura ainsi signé l’arrêt de mort d’un certain cinéma hexagonal, la fameuse « qualité française »…
C’est donc en en Janvier 1954, dans les colonnes des CAHIERS DU CINEMA que sort le fameux article intitulé : « UNE CERTAINE TENDANCE DU CINEMA FRANCAIS ». FRANCOIS TRUFFAUT a écrit et réécrit ce texte pendant 2 longues années de maturation. En tant que nouveau rédacteur des CAHIERS, il avait signé son premier papier en Avril 1953, et qui traitait des films américains de séries B.
Les rédacteurs en chef de la revue, DONIOL-VALCROZE et BAZIN ont d’abord refusé la publication d’une première mouture de l’article intitulé « LE TEMPS DU MEPRIS ». Cette première version a été jugé trop insultant contre les tenants du Cinéma Français, obligeant le jeune critique à revoir sa copie.
Une (petite) revolution…
Cette petite révolution s’oppose clairement au cinéma de scénaristes et de dialoguistes, tels CHARLES SPAAK, HENRI JEANSON ou JACQUES PREVERT dans les années 30, ou après le 2èmeGuerre Mondiale, le tandem JEAN AURENCHE-PIERRE BOST, et plus plus tard le très connu MICHEL AUDIARD. Cette période fut désigné de façon péjorative comme « Cinéma de qualité Française ».
La reconnaissance du scénariste comme auteur aux dépends du metteur en scène réalisateur fut très vite perçue par la Nouvelle Vague comme une mainmise de la corporation des scénaristes sur le cinéma Français.
Les production des années 30 et 40 furent alors décriées, faisant la part trop belle aux dialogues artificiels et aux mots d’auteur pesants. La nouvelle vague (TRUFFAUT, GODARD, RIVETTE, CHABROL, ROHMER) souhaitaient s’affranchir de ces règles étouffantes afin de gagner en liberté de filmage, en tournant en décors naturel par exemple.
Par nécessité, le scénario est devenu plus libre, les découpages moins rigides, laissant place à l’improvisation. Ce changement a eu pour incidence au début des années 70, de minorer la place du scénario et des scénaristes.
« Adepte de la caméra stylo et seul maître à bord, le réalisateur méprise le scénariste. »
La dénomination auteur, réservé jusque là à celui qui écrivait, cessa donc de désigner le scénariste-dialoguistes au profit du réalisateur antérieurement appelé metteur en scène. L’auteur, contrairement au metteur en scène, n’est pas un technicien de la réalisation au service d’un scénario imposé. L’auteur-réalisateur est à la fois celui qui écrit le scénario et réalise le film. Dans cette appellation, le mot auteur reprend son sens littéraire premier.
La politique des auteurs
« Le seul point qui nous rassemble : la liberté » Voilà comment résume TRUFFAUT LA NOUVELLE VAGUE. Et cette liberté se traduit tant sur la façon de tourner, que sur la façon d’écrire. Ces auteurs-réalisateurs, libérés des contraintes techniques et commerciales, se permettent de bousculer les conventions narratives en vigueur.
LA NOUVELLE VAGUE revendique clairement des scénarios minimalistes, des intrigues minces, des personnages « quotidiens », des héros atypiques et/ou ambigus, à l’opposé des canons narratifs de la « qualité Française ». Rajouté à ça des libertés vis à vis de l’efficacité du récit classique, cultivant l’improvisation, et filmant des conversations sans le moindre enjeu dramatique, ou intégrant à la narration des éléments étrangers – un cour métrage burlesque dans CLEO DE 5 A 7, un sketch de Raymon Devos dans PIERROT LE FOU, une chanson de Bobby Lapointe dans TIREZ SUR LAPIANISTE -.
LA NOUVELLE VAGUE récuse toute notion de savoir-faire ( « tout le monde peut faire du cinéma » ) ou de convention ( « la liberté de créer doit être total » ) Elle exige de ses cinéastes de faire des œuvres personnelles, d’être les « auteurs » au sens fort du thème, comme évoqué dans LA POLITIQUE DES AUTEURS promue par les CAHIERS DU CINEMA. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreux films ont une forte dimension autobiographique.
Cette fameuse « politique » est définie pour la première fois en Février 1955 par FRANCOIS TRUFFAUT dans les pages du CAHIER DU CINEMA, et elle consiste à donner au réalisateur le statut d’auteur au dessus de tout autre intervenant.