C’est seulement un an après la sortie dans les salles de La nuit nous appartient que Two lovers débarque au cinéma. Un film a budget plus réduit (il n’a nécessité que 9 millions de dollars de budget) et tourné en une trentaine de jours.

La rapidité à laquelle James Gray a réussi à mettre en place son projet n’est pas la chose la plus surprenante de ce long-métrage. Il paraît en effet étonnant que James Gray quitte son genre de prédilection, le polar, pour se consacrer à ce qui se rapproche du mélodrame ou de la comédie romantique. Contrairement à la plupart des productions américaines actuelles Two Lovers traitent avec beaucoup de sérieux son aspect romantique, et James Gray parvient encore une fois à injecter au scénario ses thèmes chers.

Two Lovers, plus qu’un film sur un triangle amoureux, est avant tout un long-métrage sur des amours à sens unique.

Leonard (Joachim Phoenix) tombe amoureux de sa voisine, Michelle (Gwyneth Paltrow), alors qu’elle vit elle-même une relation complexe avec son patron, un homme marié. Les parents de Leonard, eux, le pousse vers Sandra (Vinessa Shaw), fille des futurs propriétaires de leur pressing.

Une tragédie moderne

Le tragique est toujours au centre de la filmographie de James Gray. Même si loin de l’atmosphère de ses précédents films, Two Lovers est encore une fois un film sur la fatalité, et sur le poids que pèse la famille sur son personnage.

Ici la famille porte clairement une poids important dans la décision de Leonard devra prendre. C’est sa famille qui lui présente Sandra, et souhaite les voir ensemble (ce qui arrangerait bien en plus leurs affaires). La famille de Leonard accepte de suite Sandra comme l’une de ses membres, tandis que Michelle semble mal vue par sa mère (voir la scène où Leonard fait visiter son appartement à Michelle).

Nous pouvons tout de même quelque peu nuancer ce propos puisque la mère de Leonard semble comprendre le départ de son fils en fin de film (la scène dans les escaliers), et ne cherche pas à le retenir.

Mais encore une fois c’est la fatalité qui s’abat sur le personnage principal de James Gray : ce n’est pas par choix qu’il finira avec Sandra, mais parce que Michelle ne veut pas de lui. Leonard souhaitait échappé à son « destin », à toutes les forces qui le poussait vers Sandra, mais s’y voit en fin de film, en quelque sorte, contraint.

Certains ont pu voir cette fin comme plus ambiguë qu’il n’y paraît. Elle ne serait pas forcément dramatique puisque Leonard trouve une femme aimante, représentant d’une certaine façon le choix de la raison. Un amour qui pourrait donc perdurer pour Leonard, au contraire de Michelle, qui représente d’avantage la passion, un amour fort mais presque déjà condamné. James Gray, à ses dires, voit néanmoins cette fin comme purement dramatique.

Leonard, un personnage perdu

Leonard est d’emblée caractérisé comme un personnage mal dans sa peau, le film s’ouvrant sur le personnage se jetant dans l’eau, dans ce qui semble être une tentative de suicide, ou tout du moins un appel à l’aide. Sa chambre semble être celle d’un adolescent, et non celle d’un homme de son âge. Nous comprendrons ensuite qu’il est revenu chez lui après avoir été quitté par une femme qu’il comptait épouser. Le personnage est donc clairement identifié comme un homme perdu, qui ne se sent pas à la place.

Néanmoins le personnage n’est pas non plus le « nerd » mal dans sa peau stéréotypé que l’on retrouve dans bon nombre de productions actuelles. Nous pouvons prendre l’exemple de la très belle scène de boîte de nuit où, contrairement à ce que l’on aurait pu précédemment s’imaginer, Leonard ne se ridiculise pas devant Michelle, laissant même penser que Leonard a pu déjà être un homme populaire.

Le personnage apparaît donc comme crédible de part sa complexité, tout comme le triangle amoureux qui se dessine (il n’est pas incohérent que Michelle songe à le rejoindre en fin de film, cela ne paraît jamais forcé ou tiré par les cheveux).

Deux visages féminins

Nous pouvons souligner des différences dans le traitement des visages de Sandra et Michelle dans Two Lovers. La première, la brune, incarne donc une sorte de femme idéale, gentille, douce, celle vers qui la famille de Leonard le pousse à aller. Elle incarne en quelque sorte la « raison ». A contrario Michelle, la blonde, serait « la passion », une femme presque idéalisée par Leonard tant elle est inaccessible. Cette différence se remarque nettement dans les dernières scènes que passent Leonard avec l’une et l’autre.

Le visage de Sandra apparaît ainsi doux, beau, heureux dans la scène finale du film. La teinte ocre de l’image lui donne un caractère chaleureux. Le visage de l’actrice est mis en valeur de cette manière, c’est bien sa beauté, sa douceur, que James Gray souhaite nous montrer dans cette ultime séquence. Il peut être rapproché du traitement du visage d’Amada dans La Nuit Nous Appartient, notamment dans la scène du lit où Boby la demande en mariage.

A l’inverse, le visage de Michelle nous semble moins « beau » dans sa dernière scène partagée avec Leonard (lorsqu’elle lui avoue ne pas partir avec lui). Son visage est triste et plongé dans une lumière bleutée. C’est la froideur qui domine cette séquence, la tristesse de la séparation. La mise en scène est donc différente, même si James Gray choisit de filmer dans les deux séquences ses actrices en gros plan. Avec une même figure de plan James Gray parvient néanmoins à traiter de manière bien différente le visage de ses actrices.

Ce traitement moins « flatteur » du visage de Gwyneth Paltrow à cet instant peut ajouter de l’ambiguïté à cette fin de film, et aller dans le sens que Leonard prend peut-être la bonne décision en choisissant de demander Sandra en mariage.

Le dernier film de James Gray a pu donc se montrer surprenant de part son synopsis à première vue très éloigné des précédents longs-métrages du cinéaste. Mais James Gray n’oublie jamais ses thèmes de prédilection et parvient à les inclure dans ce qui semble n’être au premier abord qu’une comédie romantique. Les personnages sont encore une fois chez James Gray fouillés, l’identification au personnage principal fonctionne parfaitement et rend cette fin d’autant plus triste, mais tout à fait cohérente.

Tiphène

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