Bonjour à tous ! Je m’appelle Arnaud (n’hésitez pas à faire un tour sur mon site) et j’ai l’honneur d’intervenir sur Apprendre Le Cinéma, pour discuter avec vous de la fabrication des effets visuels. Nous aborderons les techniques actuelles de trucage et d’animation. Nous ferons un état des lieux de la post-production en France et à l’étranger, et nous verrons comment produire des VFX, depuis le tournage jusqu’à la diffusion en salles.
Pour ce premier article, je vous propose de voyager dans le temps pour découvrir plus de 100 ans d’effets visuels, et rendre hommage à un pionnier: Georges Méliès.
“Visual Effects: 100 Years of Inspiration”
Grisant, non ?
En l’espace d’un siècle, tout a changé : ce qui relevait de la science-fiction digne d’un roman de Jules Verne est devenu réalité. Aujourd’hui, les dinosaures, les zombies, lex extra-terrestres et les fantômes envahissent nos écrans avec un réalisme insoupconné. On voyage dans des univers parallèles (cf Le Seigneur des Anneaux, Avatar, …). Les acteurs revêtent les plus incroyables des déguisements (cf la « motion capture » de La Planète des Singes, Tintin, …) Les éléments se déchaînent dans des films-catastrophe dévastateurs (cf à peu près tous les films de Roland Emmerich).
Et dire que tout a commencé par ca:
Nous sommes en 1896. Les ouvriers des Frères Lumière viennent de sortir de leur usine et Georges Méliès, magicien de 34 ans, vient d’assister à la première représentation publique du cinématographe.
Emballé par cette invention, le prestidigitateur décide de l’utiliser pour mettre en scène ses tours. Mais les Frères Lumière refusent de lui vendre un exemplaire de leur caméra, car selon eux, « cette invention n’a aucun avenir commercial » ! Méliès part à Londres pour se procurer un projecteur « animatographe », qu’il transforme par la suite.
Décor unique, plan large et fixe: le cinéma est d’abord une captation du théâtre, et il faudra attendre quelques années avant qu’il n’invente sa propre grammaire (échelle de plans, mouvements de caméra, perfectionnement du montage, etc).
Un jour, alors que Méliès tourne sur la place de l’Opéra, sa caméra s’arrête subitement. Il la répare, et relance le tournage.
Plus tard à la projection, il constate un étrange phénomène:
« En projetant la bande, ressoudée au point où s’était produite la rupture, je vis subitement un omnibus Madeleine-Bastille changé en corbillard et des hommes changés en femmes ! »
C’est l’effet d’arrêt de caméra (« cut camera »): on tourne, on arrête la caméra, on change le décor ou les personnages, on relance la caméra. C’est ainsi que des objets/personnages apparaissent ou disparaissent d’une image à l’autre. Méliès s’empresse d’utiliser l’effet dans ce qui sera le premier film truqué de l’histoire: « Escamotage d’une dame chez Robert-Houdin ».
Il faut savoir que les caméras de l’époque avaient une grande inertie et il était souvent difficile de les faire s’arrêter à l’image près. Dans ces cas-là, le seul moyen était d’intervenir au montage !
Cet art du collage permet également des effets « dans le mouvement », infaisables avec un simple arrêt sur image (par exemple, un comédien se transforme au milieu d’un saut). On distingue l’effet par un léger liseré blanc dans la partie supérieure droite de l’image, trahissant la collure.
1897. Comme sa caméra ne supporte pas les intempéries, Méliès aménage sa villa de Montreuil pour en faire le premier studio de cinéma. Méprisé par les comédiens, c’est Méliès lui-meme qui joue dans ses films ! Il peint également ses propres décors, et crée sa maison de production: « Star-Film ».
1898. Nouvel effet notable: la surimpression. Comme les zones noires du décor n’impressionnent pas la pellicule, on va pouvoir enregistrer successivement plusieurs passes d’images sur le même film négatif. C’est la technique d’incrustation, toujours utilisée de nos jours ! Ainsi, dans Photoshop et After Effects, on utilise la « couche alpha », qui permet de créer des calques de fusion.
Cette prouesse donnera lieu à une série d’effets de duplication, où un même personnage apparaît à plusieurs endroits de la scène.
Un Homme de têtes (1898)
Dans ce court-métrage, Méliès a d’abord filmé la première tête sur fond noir. Il note soigneusement le minutage exact, à la seconde près, des différentes actions de la scène. Il rembobine ensuite le film au début du plan. Il filme ensuite le second élément du film: la seconde tête sur la table. Idem, il note avec exactitude le minutage des actions dans le film, pour que les actions soient synchronisées. Idem pour la troisième tête. La scène finale est réalisée en dernier.
Pour ce film, Méliès a donc réalisé 4 prises de vues dont 3 en surimpression (deux têtes sur les tables et la scène principale). Grâce au minutage parfait, presque à l’image près, l’effet est garanti. Quant à sa propre tête qui disparaît, je suppose qu’il s’agit d’un effacement au feutre image par image.
Maintenant, ajoutez un zoom, et vous obtenez un effet des plus cocasses !
L’Homme à la tête en caoutchouc (1901)
A la fin du film, le « cut camera » et l’ajout de fumée (chère aux prestidigitateurs … et à David Lynch 😉 donnent l’impression que la tête vient d’exploser.
En ce qui concerne le zoom, il s’agit de Méliès, monté sur un rail, qui avance vers la caméra.
Dans ses dizaines de films d’abord vendus à des forains, Méliès va jouer aussi avec les fondus enchainés, la profondeur et les échelles pour brouiller les dimensions, se faisant ainsi passer pour un nain ou un géant. C’est également un précurseur pour d’autres avancées, telles que le son (dès 1900, il se débrouille pour synchroniser du son avec les images) et la couleur (certains films sont peints à la main, image par image !).
On le sait moins, mais Méliès s’est essayé à tous les genres cinématographiques: l’actualité reconstituée (notamment pour l’affaire Dreyfus), le film historique, le drame, la comédie, l’opéra, le film publicitaire, les scènes de guerre, les scènes antiques et mythologiques. Mais c’est surtout dans la « féérie » que le « style Méliès » s’exprimera le plus.
« Pourquoi ai-je créé plus de pièce fantastiques que d’autres ? Uniquement parce qu’elles faisaient fureur auprès du public très mêlé de 1898. Ce public était parfaitement incapable d’apprécier des films demandant, pour être compris, une certaine instruction, voire même un peu d’érudition »
En 1902, il adapte Jules Verne avec le fameux « Voyage dans la Lune » (1902), qui fera le tour du monde. D’une durée de 10 minutes, c’est la plus grande « vue » (on ne dit pas encore « film ») de l’époque.
Incroyable destin que celui de ce touche-à-tout de génie : ruiné par la guerre et la concurrence des grands studios (Gaumont, Pathé, Eclair), il tombera dans l’oubli dans les années 20. Criblé de dettes, tous ses films sont vendus à des forains ou détruits. C’est totalement par hasard que Léon Druhot (directeur du Ciné-Journal) croisera un jour sa route en 1926 et fera tout pour rétablir sa notoriété. Grâce notamment à l’influence des surréalistes, Méliès sera enfin reconnu par ses pairs. En 1931, il est décoré par la Légion d’Honneur.
Méliès a réalisé en tout près de 500 films, allant de 1 à 40 minutes. Si un grand nombre de ses films a été détruit, volé ou piraté, une partie de son œuvre a tout de même pu être restaurée.
En son honneur, le Syndicat Français de la Critique remet depuis 1946 le Prix Méliès du meilleur film français de l’année (le vainqueur de l’an dernier est « Des Hommes et des Dieux »). Une école d’effets spéciaux est aujourd’hui installée dans son ancienne demeure: l’Ecole Européenne Supérieure en Animation (EESA).
« J’aime passionnément l’art extrêmement intéressant auquel je me suis entièrement consacré ; il offre une telle variété de recherches, exige une si grande quantité de travaux de tous genres, et réclame une attention si soutenue, que je n’hésite pas, de bonne foi, à le proclamer le plus attrayant et le plus intéressant de tous les arts, car il les utilise à peu près tous ».
Le Locataire Diabolique (1909)
Je vous encourage à participer dans les commentaires, afin de me compléter, me corriger ou évoquer des sujets que vous souhaitez aborder 🙂
Arnaud