Voici la 5ème partie de notre dossier sur la crowdfunding, écrit par Etienne Lunet, spécialiste en crowdfunding et production. N’hésitez pas à consulter les articles précédents à ce sujet : Le crowdfunding – partie 1 Le crowdfunding (partie 2) – Bien réussir sa campagne Le crowdfunding (partie 3) – Les limites du financement participatif Le crowdfunding (partie 4) – Le court-métrage et le clip On ne parle pas beaucoup des web-séries de manière générale. Cependant elles existent bien et comptent de grosses communautés. Aujourd’hui, web-série résonne avec crowdfunding, et bon nombre de leurs créateurs font appel aux plates-formes comme Ulule ou Touscoprod pour chercher les financements nécessaires à leur réalisation. Pour évoquer ce format un peu particulier, je prendrai un exemple parlant, celui de ce qu’on pourrait appeler : la plus grosses web série européenne. Pierre-André Grasseler est l’un des fondateurs de Noob – web-série la plus visionnée en France, ayant battu le record européen de crowdfunding avec un objectif rempli à 1945 %, soit une cagnotte finale de 681 046 Euros pour une espérance initiale de 35 000 Euros, et un panier moyen de 55 Euros. J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’un entretien où il m’a conté cette aventure un peu surréaliste, qui a menée cette grande bande de potes au devant de la scène web française. L’histoire de cette petite communauté de « geeks », comme ils aiment s’appeler, débute à la fin des années 1990. Pour la plupart, ils sont encore étudiants dans le sud de la France, vers Toulon. Ils occupent alors leurs week-ends à réaliser des épisodes d’une série qu’ils inventent, avec les moyens du bord. Ils sont tous amateurs, autodidactes, et recherchent tout simplement à s’amuser entre amis, tous partageant cette culture du jeu vidéo et des univers d’héroïque fantaisie, inspiré des mangas japonais. A cette époque, un petit festival de film amateur qui primant le domaine de l’anime/manga existe dans leur région : The Cartoonist. Ce festival rassemble plusieurs communautés de jeunes amateurs, désireux de partager leur passion pour la vidéo, l’humour et l’univers manga. Plusieurs années après la fin du festival, en 2008, la communauté de No Life propose à l’équipe de Lost Levels (actuel Noob), de réaliser une web-série pour leurs contenus web. Ils ont plus d’expérience, du matériel et des histoires à raconter. C’est le début de l’aventure Noob. Au fil du temps, les choses prennent de l’ampleur et, avec le succès grandissant de la série, ils créent une boite de production (Olydri), une boutique en ligne avec toutes sortes de produits dérivés, et une boite d’édition par l’intermédiaire de laquelle ils diffusent des romans, mangas et BD. Ce sont toutes ces choses qui, dans un premiers temps, leur ont permis de fidéliser leur fan base mais également de l’agrandir. Ce sont ces rentrées d’argent qui leur ont permis de financer les premières saisons. Après 5 ans de contenu gratuit partagé sur Internets et 5 saisons plus tard, l’idée de lancer une campagne de financement participatif émerge dans la tête pensante de ce groupe, Fabien Fournier. Il en parle alors à quelques personnes de son entourage, le noyau dur du collectif, et décide de lancer une campagne sur le site Ulule, avec un objectif de 35.000 Euros, dans le but de réaliser le premier film Noob. Pour son créateur, ce film représenterait la finalité de la série après 5 saisons. On peut comprendre aujourd’hui le succès de ce phénomène à l’allure bien amatrice. C’est durant les 5 premières saisons que la communauté Noob s’agrandit. Le cœur est constitué de 10 personnes, le groupe de 40 et la communauté d’un nombre toujours plus croissant de fans dévoués et prêts à rendre service, ou même jouer gratuitement dans la série. Il faut savoir qu’ils ont su se faire aimer. A travers ses vidéos, ses romans et ses bandes dessinées, Fabien Fournier a su déchiffrer les codes pour s’adresser à la génération des 15-35 ans, laquelle ne manque aucun rendez-vous, comme en attestent les deux dates des 10 et 11 janvier 2015 au Grand Rex. 5.900 places vendues en un temps record sur deux dates pour l’avant-première d’un film diffusé gratuitement sur Internet ! A cela, nous pouvons ajouter les 60 jours de festival annuels depuis la création de Noob, avec un stand toujours plein. L’aboutissement de tous ces efforts est donc la réalisation du premier film Noob. Et c’est dans le but de comprendre l’incroyable succès de leur campagne de financement participatif que j’ai pu poser quelques questions à un des noyau dur de cette communauté : Pierre-André Grasseler.  
Avant toute chose, voici un petit résumé chiffré de la campagne de Noob sur Ulule : 35 000 Euros en 15 heures, les 66 700 Euros en une journée, les 80 000 Euros en un week-end, les 100 000 Euros en trois jours, 200 000 Euros en 6 jours, 250 000 Euros en 10 jours, 300 000 Euros en 20 jours, 350 000 Euros en 27 jours, 400 000 Euros en 39 jours (Record européen battu), 450 000 Euros en 49 jours, 500 000 Euros en 57 jours, 600 000 Euros en 69 jours, 681 046 Euros en 70 jours. Source : Libération – Web série mag
 PEUX-TU NOUS PARLER DE VOTRE CAMPAGNE SUR ULULE ? DU DEBUT A LA FIN. « Une fois la 5ème saison achevée, Fabien avait émis l’idée de faire un crowdfunding pour financer un film qui clôturerait la série. Et du jour au lendemain, sans avertir l’équipe, il avait déjà lancé la campagne. Au début, il avait mis 35000 Euros, sans espérer les atteindre et nous pensions rajouter le complément. Sauf que tout est allé très vite ! Quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que tout le monde a joué le jeu et, au final, on s’est retrouvés avec plus de 3000 contributeurs. Au bout de 39 jours, nous avions déjà dépassé le record européen, et ça ne s’est pas arrêté là. Du coup, on a dû réagir très vite et tout à long de la campagne on a du créer du contenu pour donner des « news » aux gens et leur expliquer ce que nous comptions faire avec ce succès. Au bout de 70 jours, la campagne s’est terminée et nous nous sommes retrouvés avec une somme considérable. Nous avions la pression, car on se disait qu’avec un tel succès les gens allaient placer la barre très haute et attendre un film bien produit. En fin de compte, Fabien nous a expliqué qu’il ne souhaitait pas changer la chaîne de production, pour faire quelque chose de plus professionnel, avec un budget largement supérieur. Dans sa tête, tout était clair. Il voulait non pas faire un film, mais trois, et garder le même état d’esprit que la série. Que ça reste un délire de potes, en assumant l’aspect amateur. Ça avait marché jusque là, pourquoi changer ? » ET QU’EST CE QUE VOUS AVEZ NÉGOCIÉ AVEC ULULE POUR FAIRE VOTRE CAMPAGNE CHEZ EUX ? « Le choix du site a vite été pris. Fabien a fait le tour de toutes les plates-formes et Ulule était celle qui lui paraissait la plus claire et la plus honnête. Ce n’est qu’une fois qu’on a compris que la campagne allait remporter un gros succès financier qu’on a commencé à négocier avec eux (il faut savoir que la plupart des sites de crowdfunding prend un pourcentage sur les recettes des campagnes. La plupart du temps, il tourne autour de 8%). Fabien et Alexandre Boucherot (le président et fondateur de Ulule) se sont toujours bien entendus et ont réussi à se mettre d’accord sur certaines décisions financières. Notamment pour cette histoire de pourcentage pour Ulule. Pour notre projet, nous avons ramené la part à 6,5% pour Ulule, au lieu des 8% qu’ils demandent initialement. Nous avons aussi demandé à ce qu’ils modifient leur politique pour tous les projets et que le pourcentage devienne dégressif au bout d’un certain montant. » COMMENT AVEZ-VOUS INVESTI L’ARGENT RECOLTE SUR ULULE ? « Dans un premier temps, un pourcentage est parti dans les taxes de l’État. Olydri Studio est passé du statut d’association à Société Anonyme en 2011, du coup les recettes de notre crowdfunding représentent un chiffre d’affaires aux yeux de l’État. Pour ne pas payer trop de taxes d’un coup, nous avons décidé d’établir un système de provisionnement pour répartir sur plusieurs années ce chiffre d’affaires, afin de payer moins de taxes d’un coup. Ensuite, il y avait cette volonté de faire une trilogie, donc dans un premier temps nous avons bloqué 20% de la somme sur un compte (après paiement des taxes). Par la suite, nous avons investit 45% de ce qu’il restait dans du matériel qui nous servirait sur les 3 films. Et, enfin, le reste a été réparti dans 3 comptes (un pour chaque film). La campagne sur Ulule à peine terminée, nous avions déjà la volonté d’investir dans du matériel qui servirait pour toute la trilogie. Nous avons pour cela acheté deux caméras Canon, un ronin, un steadycam et un drone, ainsi que du matériel de prise de son. Le reste des sous est parti dans une station de montage, des costumes, la location de certains décors et toutes les dépenses liées à la régie (hébergement, défraiement, transport), tout ça pour produire la trilogie. Ensuite, nous avons aussi créé quelques postes rémunérés (un comptable, un réalisateur pour mettre en scène quand Fabien joue, un « responsable de la logistique » et une costumière). En fait on s’est pas professionnalisé avec le succès de Ulule, on s’est simplement « désamateuré ». C’était un choix délibéré que de garder le mode de production amateur que nous appliquons depuis le début. Nous nous sommes juste donnés plus de moyens techniques pour réaliser un meilleur contenu, mais avec nos compétences. Personne n’est payé sur ce projet (sauf les postes cités ci-dessus), tout le monde travaille bénévolement. C’est dans cet esprit d’union et de camaraderie que Fabien voulait faire cette trilogie. Certes, certains acteurs ont reçu des cachets lors du tournage, mais ce n’étaient que des avances sur les ventes des produits dérivés (dont ils touchent un pourcentage). C’était aussi une manière de les motiver ! Pour te donner un autre exemple, nous avons par exemple une maquilleuse professionnelle sur le tournage, nous ne la payons pas mais nous avons passé un accord avec elle : Vu que nous avons des stands dans beaucoup de salons et autres événements, on lui garde une place pour qu’elle puisse montrer son travail et trouver de nouveaux clients. Ceci est un exemple mais c’est dans cet état d’esprit que nous fonctionnons avec l’ensemble de l’équipe. Il faut dire aussi que ce projet repose sur la communauté et avec nos 3000 contributeurs Ulule, on a acquis un gros réseau qui a pu nous aider pour organiser le tournage. D’ailleurs une autre partie du budget est allée dans les contributions que nous devions aux Ululeurs. » PARLONS JUSTEMENT DE CE TOURNAGE. VOUS AVEZ LANCE LA PRODUCTION DU PREMIER FILM JUSTE APRES LA CAMPAGNE DE FINANCEMENT ? « Alors non, on est pas passé en production tout de suite. Il y avait toute la partie de préparation à assurer. Et puis, à part Fabien, tout le monde a un boulot à côté, donc tout ça demande de l’organisation. Une fois le Ulule terminé, on est passé en pré-production avec l’écriture du script final, on a commencé à bosser sur les costumes, Mathieu, le petit frère de Fabien, s’est occupé de toute la logistique et des repérages à travers toute la France. Il y avait aussi les musiques à composer, etc… Le tournage du premier film a débuté en 2014, et s’est étalé sur presque un an. On tournait 2 semaines dans un lieu, puis on se retrouvait 3, 4, voir 5 mois plus tard pour tourner dans un autre endroit. Le tournage des films s’est beaucoup étalé dans le temps. » SELON TOI, QUEL IMPACT A EU LA CAMPAGNE ULULE SUR VOTRE PROJET ? « Dans un premier temps, on a gagné en visibilité. Avant la campagne, nous avions déjà une fan base solide qui s’est agrandie au fil des saisons, mais aussi grâce à nos autres supports Noob (livres, BD, mangas….). En plus de tout ça, le fait d’avoir battu le record européen nous a donné plus de visibilité médiatique, les médias se sont intéressés de près à « cette bande geeks inconnue ». Canal +, TF1, BFM TV et plusieurs journaux papiers ont parlé de nous. Fabien s’est d’ailleurs rendu sur plusieurs plateaux télé. Tout d’un coup, les regards se sont jetés sur nous, les gens se demandaient qui on était, ils nous voyaient comme une bande de geeks sortie de nulle part. On a reçu quelques critiques, notamment du milieu du théâtre qui ne comprenait pas qu’une bande d’amateurs puisse soulever autant d’argent sans avoir d’expérience professionnelle (il n’y a aucun acteur professionnel dans le casting). Après, nous, tout ça, on s’en fou un peu, on a besoin de personne, on a une grosse communauté qui nous suit, les gens peuvent critiquer ça change rien pour nous. » POUR FINIR ? PEUX-TU NOUS PARLER DE CE QUE CE SUCCES VOUS A DONNE ENVIE DE FAIRE PAR LA SUITE ? « Nous avons beaucoup de projets car ce succès nous a vraiment donné de l’élan et de la motivation pour créer toujours plus de contenu. Nous allons faire un spin-off de Noob qui s’appellera Noob Reroll. C’est un projet que l’on veut amener de manière beaucoup plus professionnelle que Noob, avec une vraie production, des acteurs professionnels, etc… Pour ça, on pense éventuellement à faire un nouveau crowdfunding et faire appel à des sociétés de production, mais aussi faire des partenariats. Pour le moment, ce ne sont que des idées qui émergent dans nos têtes, mais il n’y a rien de très concret. Pour conclure sur cet entretien, je pense que le succès de Noob découle du travail considérable qui a été réalisé par ce collectif, depuis 2008. Ils ont su se faire aimer grâce à leur mode de fonctionnement. Les fans prennent directement part au projet, c’est eux qui l’alimentent et le font vivre. Le noyau dur de ce collectif a su créer un vrai esprit d’union au sein de la communauté. Tout le monde y a cru. Je pense qu’en fin de compte, toute cette aventure reste avant tout des bons moments entre amis à faire quelque chose qui leur plaît à tous. Connaissiez vous la web-série Noob ? Si oui qu’en pensez-vous ? Partagez vos impressions avec nous dans les commentaire 🙂 Dans le prochain article sur le crowdfunding, nous nous intéresserons aux formats long.

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